RICHARD WAGNER WEBSITE
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OSWALD GEORG BAUER

DIE MEISTERSINGER VON NÜRNBERG
(LES MAÎTRES CHANTEURS DE NUREMBERG)

La conception des Maîtres Chanteurs de Nuremberg remonte elle aussi au séjour capital que fit Wagner à Marienbad pendant l'été 1845. Il avait en effet décidé que sa prochaine oeuvre serait un opéra comique; en prenant cette décision, il suivait également les conseils de ses amis qui estimaient qu'après Le Vaisseau Fantôme et Tannhäuser, un opéra de «genre léger» rencontrerait plus de succès auprès du public. Et de ce succès, Wagner en avait alors terriblement besoin. Jusque là, mises à part les représentations de Dresde, ses seules oeuvres jouées avaient été Rienzi à Hambourg et à Königsberg, et Le Vaisseau Fantôme à Riga, Kassel et Berlin.
Il avait emporté à Marienbad l'Histoire de la littérature nationale allemande de Georg Gottfried Gervinus. Dans un chapitre intitulé «Le déclin de la poésie chevaleresque et la naissance de la poésie populaire», il trouva une étude sur l'art des maîtres chanteurs et sur Hans Sachs. Curieusement, il se sentit immédiatement attiré par le nom et la fonction du «marqueur»; Gervinus ne mentionne pourtant le poète que de manière accessoire. Ignorant tout encore des oeuvres poétiques de Hans Sachs ou de ses contemporains, il se représenta, au cours d'une promenade, une scène «où le cordonnier, frappant sur sa forme avec son marteau, donne lui, l'artisan-poète populaire, une leçon au marqueur qu'il a contraint de chanter, pour se venger de ses méfaits et de son pédantisme. Je voyais devant moi toute la scène, concentrée en deux traits essentiels: le tableau noir couvert de traits de craie du côté du marqueur, et Hans Sachs, brandissant les chaussures qu'il avait confectionnées en 'marquant' les fautes». Wagner imagina alors une étroite ruelle tortueuse, où se déroulait une rixe comme celle à laquelle il avait lui-même assisté à Nuremberg en 1835. À cet instant, il se représenta Les Maîtres Chanteurs comme «un drame satyrique se reliant par son contenu à [sa] Guerre des Chanteurs de la Wartburg». Dans cette première esquisse en prose, il conçut Hans Sachs comme «la dernière incarnation de l'esprit du peuple artistiquement créateur», et l'opposa à «l'esprit petit bourgeois des soi-disant maîtres-chanteurs». Il peignit le «pédantisme ridicule de ces derniers, poètes selon la tablature, dans la figure très personnalisée d'un 'marqueur'». En décidant de composer Les Maîtres Chanteurs, l'intention première de Wagner fut donc de se livrer à une parodie des fonctions du marqueur.
Puis il mit ce projet de côté et n'en reparla qu'au moment de la rédaction d'Une Communication à mes amis, en 1851. Le plan des Maîtres Chanteurs de Nuremberg décrit dans cet ouvrage contient déjà les traits essentiels de l'action du livret définitif: «Le doyen d'âge de la corporation offrait alors la main de sa fille au maître qui remporterait le prix d'un prochain concours. Le marqueur, qui courtise déjà lui-même la jeune fille, trouve un rival en la personne d'un jeune chevalier que la lecture des légendes héroïques et des anciens Minnesänger a enthousiasmé au point de lui faire quitter le château plus ou moins en ruine de ses ancêtres et de venir apprendre à Nuremberg l'art des maîtres chanteurs. Il demande à être admis dans la corporation, poussé par un amour soudain pour la jeune fille offerte en prix et 'que seul un maître de la corporation peut conquérir'. Soumis à l'épreuve, il chante un lied enthousiaste à la louange des femmes, non sans s'attirer la désapprobation constante du marqueur, de sorte qu'à la motié du lied le candidat a déjà 'déchanté'. Sachs, auquel ce jeune homme plaît, fait échouer alors, dans l'intérêt même de son protégé, une tentative désespérée de celui-ci pour enlever la jeune fille. Cet épisode lui donne aussi l'occasion de faire enrager le marqueur. Celui-ci, qu'on avait vu dans une scène précédente s'en prendre grossièrement à Sachs et l'humilier à cause d'une paire de chaussures qui n'était pas prête, s'est posté pendant la nuit devant la fenêtre de la jeune fille pour lui donner en guise de sérénade la primeur du lied avec lequel il espère la gagner; il compte ainsi s'assurer à l'avance de sa voix, décisive dans l'attribution du prix. Sachs, dont l'échoppe de cordonnier fait face à la maison à laquelle s'adresse la sérénade, se met lui-même à chanter tout haut avec le marqueur, parce que, dit-il à l'autre furieux, c'est pour lui le seul moyen de rester éveillé quand il doit travailler si tard: or, le travail presse, personne ne le fait mieux que le marqueur qui l'a tout à l'heure si durement rappelé à l'ordre à cause de ses souliers. Finalement il promet au malheureux marqueur de s'arrêter, à condition que l'autre lui permette de marquer les fautes que lui, Sachs, percevrait à son sentiment, dans la chanson, et de les marquer à sa manière de cordonnier, c'està-dire en frappant chaque fois d'un coup de marteau le soulier mis sur sa forme. Le marqueur commence à chanter: Sachs frappe à coups redoublés sur la forme. Le marqueur furieux bondit sur lui, l'autre lui demande calmement s'il a terminé sa chanson. 'J'en suis loin' crie le marqueur. Sachs lui tend alors en souriant les souliers qu'il vient de terminer avec ses 'coups de marqueur'. Le reste du chant, que le marqueur dans son désespoir a hurlé tout d'une traite, lui vaut un piteux échec, comme on voit aux signes éloquents que fait une silhouette de femme à la fenêtre en secouant la tête. Le marqueur, qui ne peut s'en consoler, demande le jour suivant à Sachs un nouveau lied pour conquérir la jeune fille; Sachs lui donne un poème du jeune chevalier en prétendant qu'il ne sait pas d'où il le tient; il lui recommande simplement de bien chercher «l'air» qui lui convient pour être chanté. Le marqueur, dans sa vanité, est sur ce point sûr de lui et chante devant le jury composé de maîtres chanteurs et de gens du peuple un air qui ne convient absolument pas et qui déforme le poème, de sorte qu'une nouvelle fois, mais définitive celle-là, il échoue à l'épreuve. Furieux il accuse Sachs de tromperie pour lui avoir conseillé de prendre un poème misérable. Sachs répond que le poème est fort bon, à condition d'être chanté sur l'air qui lui convient. On décide que celui qui saura trouver cet air sera le vainqueur. Le jeune chevalier s'en montre capable et conquiert la jeune fille, mais il dédaigne l'offre qu'on lui fait d'entrer dans la corporation. Sachs défend alors celle-ci avec humour et termine par ces vers:

Et dût le Saint Empire romain partir en fumée
La Sainteté de l'art germain nous est assurée.

Pour quelle raison Wagner n'a-t-il pas exécuté ce plan immédiatement et a-t-il préféré le laisser mûrir pendant dix ans? Dans Une Communication, Wagner justifie ses tergiversations en expliquant que la gaieté requise par un tel sujet ne s'exprimait encore chez lui qu'à travers l'ironie. Cette ironie se reliait à l'élément purement formel de son art et de son être, et non à leurs racines plongées dans la vie. A cette époque, Wagner considère l'ironie comme la seule forme de gaieté accessible à l'intelligence publique. Elle s'attaque à ce que la vie publique contient de contraire à la nature, par le défaut de la forme; en effet, la forme étant ce qu'il y a de plus manifeste, elle est aussi ce qu'il y a de plus compréhensible. Ne pouvant saisir son contenu, nous sommes poussés à recourir précisément à cette même forme, dont nous nous moquons ailleurs ironiquement. La gaieté ne peut donc se manifester dans «son véritable contenu», dans sa vérité de force vitale réelle. Pour redonner à la gaieté sa force vitale, il faut résister à l'élément de la vie qui empêche la gaieté de se manifester purement. Mais, dans la vie moderne, cette résistance ne peut prendre que la forme d'une nostalgie et finalement d'un soulèvement, c'est-à-dire les traits de la tragédie. Sa nature réagissait contre «la tentative manquée» de se défaire «par l'ironie, du contenu qui faisait la force de [sa] gaieté», et il considérait cette tentative comme «la dernière expression d'un désir de jouissance qui voulait se réconcilier avec un entourage vulgaire». A son sens, «l'élément de la vie qui mérite seul et réellement le nom de 'gaieté' et qui est le plus haut destin auquel puisse accéder l'art de l'avenir», c'est «la pleine unité de l'esprit et de la sensualité».
Cependant, ni dans l'esquisse en prose de 1861 ni dans la version définitive du livret, Wagner n'a atteint à la gaieté limpide, souveraine, totalement pure, «apollinienne» qu'il recherchait et qu'il ne cessa jamais d'admirer chez Mozart. Les Maîtres Chanteurs ne sont devenus ni un drame satyrique, ni une comédie. La gaieté des Maîtres Chanteurs de Wagner est conquise de haute lutte, elle ne peut dissimuler les traces d'efforts et de blessures. La première page des esquisses orchestrales du deuxième acte porte les mots suivants: «Au bord du gouffre - comme toujours» (8. 6. 1866). Dans les esquisses en prose, il définissait encore son oeuvre comme un «opéra comique», termes qu'il abandonna dans la version définitive. Mais c'est précisément grâce à cette atmosphère indécise, tout en nuances, qui se refuse à toute terminologie formelle, que Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg ont conservé jusqu'à l'heure actuelle une place particulière et qu'ils continuent d'éveiller notre intérêt.
Richard Wagner ne reprit son vieux projet des Maîtres Chanteurs qu'en 1861, cette année si riche en catastrophes. En été, il avait visité Nuremberg et trouvé qu'il y avait là «quantité de jolies choses à voir» (à Mathilde Wesendonck, 21. 12. 1861). De retour à Vienne, il écrivit à sa femme Minna: «Pour mes nouvelles oeuvres, je me heurte à des difficultés presque insurmontables. Pas une âme ne me demande ... Si cela continue, je suis fini» (19. 10. 1861). Et l'on voit réapparaître le vieux désir de réaliser un travail moins épuisant, rapide, qui pût le tirer de sa situation périlleuse. Le 30 octobre, il confia à son éditeur Schott: «J'ai déjà rédigé un brouillon complet. L'opéra s'appelle Les maîtres chanteurs de Nuremberg et le principal protagoniste jovial et poétique - en est Hans Sachs.
Son style, dans le livret comme dans la musique, sera parfaitement léger et populaire; sa diffusion dans tous les théâtres devrait être favorisée par le fait que je n'ai besoin cette fois ni d'un soi-disant premier ténor, ni d'une grande cantatrice dramatique» (comme pour Tristan et Isolde).
La Vierge de l'Assomption du Titien, qu'il admira à Venise en novembre 1861, exerça sur lui un «effet des plus sublimes»; à sa vue, il sentit «renaître subitement ses forces d'autrefois» (Ma Vie).

Dès son retour à Vienne, il commença à rassembler de la documentation et à élaborer une grande esquisse en prose. Il emprunta à la Bibliothèque impériale la Chronique de Nuremberg de Johann Christoph Wagenseil, contenant le supplément: De l'art gracieux de Maîtres chanteurs, auquel Gervinus avait déjà recouru pour son histoire de la littérature. Les notes manuscrites de Wagner couvrent quatre pages. Elles portent essentiellement sur des informations techniques, telles que les règles de la poétique des maîtres chanteurs, les noms des maîtres et de leurs chansons, le programme d'une école de chant, etc. Il connaissait le traité de Jacob Grimm Sur la poésie des Maîtres chanteurs ainsi que la biographie de Hans Sachs par Friedrich Furchau; ces volumes figuraient en effet dans sa bibliothèque de Dresde.
Au début du mois de décembre, il se retira dans la solitude d'une petite chambre d'hôtel sur le Quai Voltaire à Paris, pour rédiger le livret (depuis son départ de l'«Asyl», il ne possédait de demeure personnelle nulle part). Il trouvait un «charme tout à fait comique» à se voir enfermé à Paris précisément avec les Maîtres chanteurs, «cette population de caractère assez anguleux et rude», ces «drôles de zèbres authentiquement allemands» (à Mathilde Wesendonck, 12. 12. 1861; à Betty Schott, 10. 12. 1861).

De temps en temps, il se mettait même à se «frotter les yeux» en s'aperçevant du «contraste comique» qu'offraient son projet et «le lieu de son exécution» (à Peter Cornelius, 11. 12. 1861). Et il éclatait de rire lorsque, levant les yeux de son travail, il voyait en face de lui les Tuileries et le Louvre, le trafic inouï sur les quais et les ponts, et qu'il se demandait «quel effet ferait Hans Sachs à Paris» (ibid.). Dans son isolement, sa seule joie et son seul plaisir étaient le travail. Dans la galerie du Palais Royal, sur le chemin de la Taverne Anglaise où il prenait d'ordinaire ses dîners, il inventa le thème du choeur «Wach auf» («Réveillez-vous»). Il avait demandé à Schott, son éditeur, de lui envoyer un volume sur les anciens chorals, notamment de l'époque de la Réforme, et un recueil de chansons populaires allemandes. A Paris, il ne disposait pas d'ouvrages sur ce sujet. Les Maîtres Chanteurs protestants allemands ont également été écrits à Paris en réaction contre le caractère «catholique et méridional», comme l'a formulé Hans Mayer. On peut également sentir dans cette oeuvre la volonté d'opposer au monde latin (neuf mois après le scandale de Tannhäuser) quelque chose d'allemand, de même qu'un très net désir, une sorte de nostalgie, de voir réalisée l'unité de sa patrie, de son peuple et de son art.
Le 25 janvier 1862, il acheva le livret. Pendant les années qu'il consacra ensuite à la composition, il procéda à de nombreux remaniements de la version originale. Le 5 février, Wagner donna une séance de lecture intégrale chez les Schott à Mayence. Au début du mois de mars, il présenta son livret au grand-duc et à la grande-duchesse à Karlsruhe. Dès le début de son travail à Paris, Wagner fut certain que Les Maîtres Chanteurs du Nuremberg seraient sa production la plus géniale, son oeuvre la plus populaire. Il écrivit à Mathilde Wesendonck qu'elle ne devait pas s'y tromper, que tout dans cette nouvelle oeuvre était de son invention personnelle, à l'exception du choeur «Wach auf», citation de l'hymne de Hans Sachs sur Martin Luther. On ne peut que lui donner raison; en effet, dans le cas des Maîtres chanteurs, il ne sera pas utile de mentionner les diverses versions du sujet que connaissait Wagner et qui lui ont de toute évidence servi de modèle. Choisissons néanmoins deux exemples dans l'abondante bibliographie consacrée à Hans Sachs: le Hans Sachs de Ludwig Franz Deinhardstein

datant de 1827, et l'opéra comique Hans Sachs, d'Albert Lortzing,

créé à Leipzig en 1840, deux oeuvres populaires et fréquemment jouées. Voici l'essentiel du contenu de l'ouvrage de Deinhardstein: le jeune Hans Sachs demande en mariage la fille d'un riche orfèvre. Il a pour rival un conseiller municipal vaniteux; il en résulte un malentendu et un conflit tranché par l'empereur Maximilien I. Le point culminant de la fête qui suit est le moment où l'on décerne à Hans Sachs les lauriers de poète. L'opéra de Lortzing suit le même schéma. L'intérêt de la version de Wagner ne réside pas dans les similitudes mais dans les différences.

Contrairement au projet original, le marqueur n'est plus le personnage principal du livret; Wagner a déplacé le centre de l'action au profit de Sachs et de Walther. Dans la figure de Hans Sachs, il a créé l'un de ses personnages les plus complexes et les plus beaux. L'image que nous nous faisons du cordonnier-poète historique du XVIe siècle est encore profondément marquée aujourd'hui par le personnage de l'opéra de Wagner. Les modèles littéraires contenaient déjà les principaux traits dont Wagner a lui aussi pourvu son Sachs: la bonhomie, l'honnêteté, la loyauté, la sensibilité et le coeur, auxquels se joignent la malice et l'espièglerie. Mais le Sachs de Wagner est d'abord et surtout un artiste. L'art poétique et lyrique de Sachs répond aux propres exigences artistiques de Wagner: l'oeuvre d'art se manifeste d'une «facon rigoureusement déterminée par le lieu, le temps et les circonstances», et possède donc «une efficacité des plus vivantes». Son thème est «l'humain universel». Elle est enracinée dans la vie, comme la poésie des Grecs anciens et celle de Shakespeare (Une Communication).
Elle est donc le contraire même de ce que Wagner définit et rejette comme oeuvre d'art absolue ou oeuvre d'art monumentale. L'ouvre d'art véritable à laquelle aspire Wagner et qui est représentée par Hans Sachs a besoin de la vie pour apparaître, et de «la vie la plus réelle, la plus sensible» (Une Communication). Cette oeuvre d'art s'oppose à l'oeuvre d'art monumentale autant qu'un homme vivant à une statue grecque. (Wagner cite en exemple le drame grec, composé il y a deux mille ans expressément pour la démocratie athénienne, et que l'on joue aujourd'hui à Potsdam devant la cour de Prusse). Comme le remarque sarcastiquement Beckmesser, Sachs compose des ritournelles, des histoires, des drames et des bouffonneries pour le peuple de Nuremberg. Il veut qu'on laisse le peuple juger une fois par an les productions artistiques des maîtres chanteurs, pour vérifier s'ils n'ont pas perdu «leur force et leur vitalité dans l'ornière d'une routine paresseuse»; alors «peuple et art s'épanouiront avec la même vigueur». Sa tâche consiste à ne pas rejeter le chant irrégulier mais sincère de Walther (acte I), à tenter de le comprendre, à donner des cours au jeune chanteur dans son échoppe de cordonnier, à lui inculquer les règles et à en faire un maître. Selon les conceptions artistiques de Sachs, règles et génie doivent aller de pair. Les règles sans génie, incarnées par Beckmesser, n'ont aucune créativité, elles sont philistines. Mais le génie sans les règles s'effondre, faute de forme, il est arbitraire et hasardeux. L'art véritable est formé de la réunion de ces deux qualités. Tel est le sens de la leçon de Sachs.
Le tendre sentiment amoureux de Sachs pour Eva est une invention dramatique féconde de Wagner. Le renoncement de Sachs à Eva n'a pas la résignation souriante et désinvolte qu'on lui prête si souvent. C'est un acte d'intelligence et de clairvoyance. («Hans Sachs war klug und wollte / nichts von Herrn Markes Glück» - «Hans Sachs a été avisé, et n'a pas voulu du bonheur du roi Marke»). Il ne veut pas céder à l'aveuglement, il refuse de forcer un destin qui n'est pas le sien. Et ce discernement, il ne l'acquiert pas facilement, le cour léger; c'est le fruit de la souffrance et de la révolte même. Ses chansons de cordonnier au second acte, et ses allusions à Eve et à son vilain rôle au Paradis, en témoignent très clairement. Certes, il est lui aussi soumis aux illusions, mais il les reconnaît et fait en sorte d'«amener la chimère à réaliser une grande oeuvre».
L'adversaire de Beckmesser n'est pas Stolzing, son rival, comme le voudraient les règles de la comédie, mais Hans Sachs. Car la question de savoir qui obtiendra la main d'Eva n'est, au fond, qu'accessoire. Le véritable conflit entre Sachs et Beckmesser porte sur la divergence de leurs conceptions artistiques. L'art de Beckmesser est un art de règles, sans inspiration. La fonction du marqueur semble avoir été créée tout exprès pour lui. Son art ne répond ni à une expérience personnelle ni à un sentiment, il est, pour parler comme Wagner, «réflexion», il est calcul. Beckmesser, le seul maître chanteur à n'être pas artisan, considère son activité de maître chanteur comme un élément de sa carrière, carrière qui inclut également un mariage digne de son rang. Il ne s'agit pas ici d'«histoires d'amour» mais d'«affaires de mariage», si l'on en croit Johann Nestroy. Avec sa chanson de prétendant, qui n'est en aucun cas un chant d'amour, il poursuit un but. Ce chant volé à Walther le fera échouer, car il est né d'un sentiment sincère, et ne sied qu'à Walther. Beckmesser ignore ce dont il parle, et ne peut que s'embrouiller dans les paroles. En s'obstinant dans sa tentative, il trahit sa conception artistique. Lui aussi est conseillé par Sachs (acte II) mais, contrairement à Walther, il s'entête et ne démord pas de son point de vue.
Dans la version définitive, la parodie des fonctions du marqueur, l'inspiration première de Wagner en 1845, se trouve également au centre de l'oeuvre. Sachs ne se moque pas des règles par principe, il ne raille que leur utilisation mécanique, dépourvue d'âme. Beckmesser, quant à lui, décide de donner sa sérénade parce qu'il n'a pu dissuader Pogner de laisser à sa fille la décision finale au concours de chant du lendemain. Il veut être sûr de son fait, car il a l'habitude de prévoir, de régler, et de ne rien laisser au hasard. La sérénade est la répétition du concours de chant. Si sa chanson plaît à Eva, il aura gagné, et il veut encore tirer ce point au clair la nuit même. Etant leur marqueur, il est sûr que les maîtres se rangeront à ses côtés; quant au peuple, il ne compte pas pour lui. Il ne comprend pas que dans cette situation, ayant Sachs, son (supposé) rival pour témoin, la sérénade qu'il offre à sa belle portera fatalement à faux. Il laisse sa sérénade tourner à la lutte artistique avec Sachs. Il se sent contraint de continuer à chanter parce qu'il faut qu'il ait le dernier mot, non plus au sujet de sa demande en mariage, mais de ses conceptions artistiques. Les vilains tours et les moqueries qui se déversent sur Beckmesser peuvent nous sembler aujourd'hui plus grossiers et cruels que drôles, mais ils constituent un ressort comique ancien et légitime. Les benêts sont dupés, la sottise et la vanité punies. C'était le thème comique habituel des Fastnachtspiele (farces allégoriques jouées pendant le carnaval) de Hans Sachs. Dans l'esquisse en prose viennoise, Sixtus Beckmesser s'appelait encore Hanslich, allusion par trop limpide à Eduard Hanslick, le critique viennois influent et redouté.

Le 23 novembre 1862, Wagner donna à Vienne une lecture du livret des Maîtres Chanteurs: Hanslick, indigné, quitta la salle. Il est hors de doute qu'avec Beckmesser, Wagner pensait aussi à un «méchant critique» (cf. sa lettre au chanteur Rudolf Freny, 25. 10. 1872). Ce personnage est également l'expression des blessures personnelles de Richard Wagner. Au prix d'efforts considérables et en dépit des oppositions et des critiques, il avait créé des oeuvres qui sortaient des sentiers battus; il est vrai qu'en livrant à la dérision un fanatique des règles, qui méprise tout ce qui s'en écarte, il ne réagissait pas de façon souveraine et imperturbable; mais son attitude est fort compréhensible.
Dans la scène de pugilat, Wagner utilisa une aventure qui lui était arrivée à Nuremberg en 1835: une rixe nocturne avait éclaté sans raison apparente devant une auberge et s'était évanouie comme par enchantement. Il ne put jamais trouver d'explication rationnelle à cette explosion de délire collectif. Dans Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg, elle se situe à la fin du deuxième acte, c'est-à-dire à l'emplacement même où, selon les règles de la dramaturgie classique, devait se produire la catastrophe. Wagner a imaginé certes une bourgade harmonieuse, idéale, intacte, mais il a également émis des doutes sur sa capacité de résistance. L'harmonie est fragile, menacée. Nuremberg a beau être «fidèle et tranquille», cela n'empêche pas les explosions de délire primitif. Wagner avait pu lire dans Gervinus qu'au XVI siècle, les classes inférieures étaient en effervescence, que les corporations étaient en proie aux jalousies, aux hostilités et aux persécutions, troublant ainsi la société bourgeoise. Les maîtres chanteurs et leur art exercèrent alors une influence modératrice, ils rétablirent la «dignité des moeurs». Mais dans la scène de pugilat, Wagner voyait aussi, selon les termes de Friedrich Nietzsche,


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«un écho de ces heures nocturnes, secrètes et inquiétantes de l'âme, où les causes et les conséquences semblent sorties de leurs gonds et où quelque chose peut à chaque instant naître 'du Néant'». «Et quand donc une 'innovation' aurait-elle été créée sans 'grand bruit par les ruelles', sans le désarroi et le désespoir d'esprits intelligents, sans bagarre nocturne des 'accoucheurs' actifs et passifs bref, sans ce 'délire' auquel Wagner, cet artiste philosophe quinquagénaire, mûr et conscient, impute un rôle très important dans la genèse de l'oeuvre d'art?» (Wieland Wagner). Nous estimons aujourd'hui qu'en parvenant à représenter tout cela dans sa scène de pugilat, Wagner a réalisé sa création la plus pénétrante.


JOHANN CHRISTOPH WAGENSEIL    
By: Crawford Howell Toy and Eduard Neumann  

German Christian Hebraist; born at Nuremberg Nov. 26, 1633; died at Altdorf Oct. 9, 1705. In 1667 he was made professor of history at Altdorf, and was professor of Oriental languages at the same university from 1674 to 1697, after which he occupied the chair of ecclesiastical law until his death. For his knowledge of Hebrew he was chiefly indebted to Enoch Levi, who had come from Vienna to Fürth about 1670. Wagenseil devoted his learning to publishing anti-Christian works of Jewish authors, and undertook long journeys to gather his material. The fruit of this work is the collection entitled «Tela Ignea Satanæ, sive Arcani et Horribiles Judæorum Adversus Christum, Deum, et Christianam Religionem Libri» (Altdorf, 1681), which includes the apologetic «?izzu? Emunah» of the Karaite Isaac b. Abraham of Troki. Becoming convinced by the «Toledot Yeshu» that the Jews were guilty of blaspheming Jesus, Wagenseil addressed to all high potentates his «Denunciatio Christiana de Blasphemiis Judæorum in Jesum Christum» (Altdorf, 1703), in which he implored them to restrain the Jews from mocking at Jesus, Mary, the cross, the mass, and Christian teachings. Although he would have been pleased to see the Protestant princes show greater zeal in the conversion of the Jews, Wagenseil was opposed to forcible baptism and similar measures, and devoted a special treatise to the refutation of the charge of ritual murder.
Wagenseil wrote, besides the above - mentioned books, «Hoffnung der Erlösung Israels» (Leipsic, 1705), which appeared in a second edition (Altdorf, 1707), augmented by a number of smaller works under the general title «Benachrichtigungen Wegen Einiger die Gemeine Jüdischheit Betreffenden Sachen.» This collection contains the following treatises: (1) «Quomodo cum Judæo in Colloquio, Forte Fortuno Nato, Agendum»; (2) «Judæos non Uti Sanguine Christiano»; (3) «Quomodo Usura Judæorum Averti Possit»; (4) «De Precatione Judaica Olenu»; (5) «Denunciatio Christiana de Blasphemiis Judæorum in Jesum Christum»; (6) «Apologia»; (7) «Denunciatio ad Magistratus Christianos de Juribus Eorum a Judæis Violatis»; (8) «An Christianus Salva Religione Judæo Die Sabbati Inservire Possit.» He wrote also: «Exercitationes Sex Varii Argumenti» (Altdorf, 1698); «Belehrung der Jüdisch-Deutschen Red- und Schreibart» (2d ed., Königsberg, 1699); «Disputatio Circularis de Judæis» (Altdorf, 1705); «Rabbi Moses Stendal's nach Jüdischer Rede-Art Vorlängst in Reimen Gebrachte Psalmen David's» (Leipsic, 1700); as well as an edition and Latin translation of the Talmudic treatise Sotah (Altdorf, 1674).