SUGLI AUTOGRAFI ESISTENTI
Enquête sur la composition

En ce qui concerne le travail de composition de Mozart, il faut se reporter principalement à un article d'Alan Tyson paru en 1984, et fondé sur l'étude du manuscrit autographe, des esquisses et du livret imprimé. L'autographe presque complet de l'acte II est conservé à Berlin-Ouest. Celui de l'acte I, considéré après 1945 comme perdu, est de nouveau disponible depuis 1977 (à la Bibliothèque Jagellon de Cracovie). L'autographe dans son ensemble est fait de deux types de papier (I et II), les fragments sur papier II étant tous postérieurs aux fragments sur papier I.

Le papier I fut utilisé par Mozart pour les deux airs (K. 582 et K. 583) destinés en octobre 1789 à Louise Villeneuve, future Dorabella, et aussi pour la moitié environ de l'acte I de «Così» (ce qui ne veut pas dire pour la première moitié de cet acte dans sa version définitive). «Le type I ne se trouve dans aucun autographe de Mozart après le premier acte de 'Così', le type II dans aucun autographe antérieur à ce premier acte». Certains numéros de l'acte I sont sur du papier de type I, d'autres sur du papier de types I et II (quintette «Di scrivermi Ogni giorno» et air de Ferrando «Un'aura amorosa »), et d'autres sur du papier de type II (l'ouverture, l'air de Don Alfonso «Vorrei dir», le chœur «Bella vita militar», l'air de Despina «In uomini, in soldati», l'air de Fiordiligi «Come scoglio», l'air de Guglielmo »Non siate ritrosi» venant remplacer …Rivolgete a lui lo sguardo» (K. 584), quant à lui sur papier I, et la plus grande partie du finale.

Sans entrer dans les détails, disons que dans l'acte I, Mozart commença par les ensembles, et laissa les airs pour plus tard. Il est peu probable que pour les airs, il ait voulu attendre de bien connaître les chanteurs, car il avait déjà composé des airs pour tous à l'exception de Vincenzo Calvesi (Ferrando). Les récitatifs furent composés relativement tard, et un seul air semble avoir été écrit assez tôt (compte non tenu de «Rivolgete a lui lo squardo»): «Smanie implacabili» (Dorabella). Sans doute le fut-il sur la lancée des trois airs isolés pour Louise Villeneuve. ll semble également que «Come scoglio» et « Non siate ritrosi» furent écrits alors que l'acte II était déjà commencé. Toujours dans l'acte I, il apparaît qu'à l'origine, Despina devait faire son entrée avec une cavatine précédant le «Smanie implacabili» de Dorabella, et qui probablement ne fut jamais écrite.

L'autographe de l'acte II est entièrement sur papier II, à l'exception de quelques feuillets ne contenant que des récitatifs. Il n'est pas sûr que les passages manquants, parmi lesquels le duo avec chœur «Secondate, aurette amiche», de Guglielmo et Ferrando, le récitatif accompagné «Ei parte... senti» de Fiordiligi précédant «Per pietà» ou encore la cavatine «Tutti accusan le donne» d'Alfonso, aient été écrits les derniers, « peut-être même après le vaste second finale, pour être ensuite envoyés en hâte au copiste et ne jamais retrouver leur place dans l'autographe». Pour l'air «Donne mie, la fate a tanti» de Guglielmo existent des fragments d'une première version, rejetée par Mozart. Existent aussi des esquisses pour le canon en La bémol majeur («E nel tuo, nel mio bicchiero») du finale, au verso d'un fragment du Quatuor à cordes en sol mineur (K. 587a) vraisemblablement destiné à la série des Prussiens: l'abandon de ce Quatuor aurait permis à Mozart d'utiliser la même feuille pour des esquisses de «Così». L'air de Dorabella «È amore un ladroncello» fut probablement substitué à un autre, dans une tonalité différente et dont on n'a plus la moindre trace, et il est possible qu'à l'acte I, le «Come scoplio» de Fiordiligi ait été à l'origine précédé d'un air de Ferrando lui aussi disparu.

Après la création de «Così fan tutte», Mozart décida d'effectuer (ou fut poussé à effectuer) certains changements. L'un d'eux fut la suppression du canon en La bémol majeur du finale II: d'où la composition de quelques mesures de transition dont l'autographe (à Berlin-Est) se trouve sur le même type de papier que ceux des finales des Quatuors à cordes K. 589 et K. 590 (mouvements composés au printemps de 1790). Ces quelques mesures ne sont bien sûr jamais entendues de nos jours. Une autre coupure fut réalisée par Mozart plus loin dans le finale II, et on en trouve d'autres encore dans les éditions Breitkopf de 1794, Simrock de 1799, et Breitkopf & Hàrtel de 1810 (la première en partition d'orchestre). Elles ont trait à l'ouverture, au chœur «Bella vita militar», au finale I et aux airs de Ferrando «Un'aura amorosa» et «Ah, lo veggio», et, comme l'écrit Tyson, «s'il est indéniable que Mozart lui-même contribua à couper certains passages et à réparer les brèches, les raisons de ces coupures et l'état d'esprit dans lequel il les réalisa ne peuvent que demeurer matière à spéculation». A noter qu'inversement, une copie d'époque conservée à la Bibliothèque nationale de Vienne contient pour le duo avec chœur «Secondate, aurette amiche», dont l'autographe est manquant, treize mesures pour vents seuls absentes de toutes les autres sources.

Marc Vignal, «Sources, composition et créateurs», in «Così fan tutte», Avant-Scène Opéra, mai-juin 1990, nº 131-132, pp. 14-15.