ERNEST ANSERMET


LES SYMPHONIES DE MALIPIERO

Programme de l'Orchestre
de la Suisse Romande

nov. 1946

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L'OPERA DI G.F. MALIPIERO

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On sait assez qu'avant (le revêtir l'aspect qu'ont consacré les classiques, la symphonie a donné son nom à d'autres formes, à d'autres faits musicaux. On sait aussi que le sens classique de la symphonie, lui-même, a ouvert un horizon et des possibilités amples et divers. Mais il faut convenir que ce que recouvre le terme de symphonie chez Malipiero est assez éloigné, en esprit, de ce que ce terme fait attendre, même si l'on se réfère, comme le fait Malipiero dans une préface à ses oeuvres, aux origines italiennes de ce genre musical. Sans doute avons-nous affaire à une oeuvre cyclique comportant, selon l'usage, quatre mouvements - encore l'ordre de ces mouvements: vif - lent - vif - lent, a-t-il un sens bien différent de l'ordre habituel; sans doute aussi avons-nous affaire à la donnée instrumentale traditionnelle, d'une tenue même particulièrement sobre et «classique». Mais ce qui est insolite, c'est le style, et l'on pourrait peut-être résumer ce qu'il a Winsolite en deux traits: d'abord, ces symphonies ne sont pas thématiques,mais «motiviques» - nous voulons dire que -Malipiero se sert de motifs mélodiques comme tout le monde, mais ses motifs ne deviennent pas des thèmes; ils appellent d'autres motifs, réapparaissent, mais ils ne portent pas le flux musical et sont bien plutôt portés par lui. Ensuite, et surtout, ces symphonies n'ont pas a proprement parler de «conduite» tonale, en ce sens qu'elles présentent bien une marche harmonique mais que cette marche harmonique ne conduit nulle part. Il y a une sorte de statisme tonal, mouvant, divers, mais qui a la même espèce d'indétermination que présente, dans l'ordre mélodique, le chant grégorien, ce chant qui semble pouvoir se poser où il vent, qui suit sa voie pour être cluint mais sans paraître viser un but défini.

On est tenté de s'expliquer ces particularités du style de Malipiero par un recours à l'ancienne musique italienne, à l'époque des Gabrieli et de Monteverde, et il y a certainement de cela clans l'esprit qui l'inspire. Malipiero est profondément et essentiellement italien - et plus encore «vénitien». Mais nous croyons que, dans son italianité même, ce qui fait le caractère extrêmement personnel des symphonies de Malipiero, c'est qu'il y met en œuvre une substance harmonique née d'un tout autre projet esthétique: la substance harmonique de ce qu'on a appelé l'impressionnisme musical. Ses symphonies sont pleines d'images. En somme, le vieil auteur des «Impressioni dal vero» est toujours là, et l'on pourrait voir dans ses symphonies comme un suprême effort de ce musicien pour donner à la musique qu'il portait en lui une forme accomplie et plus pure, une véritable autonomie.

Dans la préface à laquelle nous avons fait allusion, Malipiero raconte plaisamment qu'en écrivant sa première symphonie il voulait l'intituler «première et dernière».
Bien lui a pris de ne pas suivre cette impulsion, car le dessein qui l'animait devait être repris pour s'affirmer pleinement et il nous semble même qu'il s'accomplit dans la «septième» avec un bonheur particulier. Ces sept symphonies sont bien des sœurs; elles répondent au même type, dans des modalités affectives différentes; elles représentent en somme, chacune - et le peu que nous avons dit de leur style pouvait le faire prévoir - un certain état lyrique.
La «septième», et dernière au dire de l'auteur, dédiée «all'amico R. A. Mooser», porte comme sous-titre «delle canzoni»... parce qu'elle est essentiellement linéaire, écrit Malipiero. Et il ajoute: «il y a, par-ci, par-là, un certain chant qui s'impose comme le ferait la voix d'un antique rhapsode qui chante nil sommet du mont Grappa, le mont sacré, et qui a devant lui au loin, plus loin; Venise ». Mais on fera bien de ne pas chercher dans la symphonie le chant du rhapsode car il est partout et il cons4te bien plutôt en une sorte d'inflexion, d'incise sans cesse reprise.
Le premier allegro a bien le caractère «actif» traditionnel, mais ce caractère actif réside surtout dans la nature rythmique des idées mélodiques et s'il nous porte, selon l'usage, d'un premier groupe d'idées mélodiques à un second, les musiciens remarqueront que la réexposition de ce mouvement suit aussitôt son exposition sans développement intermédiaire, c'est-à-dire qu'il est de forme binaire et non ternaire. Le second allegro «impetuoso» (troisième mouvement) contraste avec le premier en ce que les motifs successifs qu'il met en ceuvre ne s'opposent pas entre eux mais procèdent d'une impulsion unique qui emporte tout le morceau. C'est aussi une différence de caractère qui explique la présence dans cette symphonie de deux mouvements lents et qui finalement fait apparaître la logique formelle de ses quatre mouvements. Tandis que le premier lent (second mouvement) - le plus beau mouvement lent, sans doute, qu'ait écrit Malipiero - tout intérieur, est une sorte de profonde méditation conduisant à l'énoncé d'un caractère récitatif et les choses se passent comme si l'espèce d'appel qui se dégage de toute cette symphonie prenait dans ce dernier mouvement une expression plus individuelle, plus directe et, par son insistance, plus pathétique.