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Enseignement de spécialité, série L : La conquête du timbre Version imprimable


Chaconne pour piano de Ferruccio Busoni
d’après la chaconne de la Partita en mineur
pour violon seul BWV 1004 de Johann Sebastian Bach


Évelyne Delmas

Cette œuvre résulte de la collaboration fructueuse de deux musiciens, J.S.Bach et F.Busoni, appartenant l’un et l’autre à des siècles et des styles différents (XVIIIe siècle pour l’un, XXe siècle pour l’autre) qui auraient dû nécessairement les séparer. Pourtant, cette rencontre n’est pas vraiment fortuite dans la mesure où les compositeurs qui se sont imposés après la mort de J.S.Bach se sont peu ou prou inscrits dans le sillage de cet illustre devancier. Ainsi, une grande tradition germanique s’est-elle peu à peu constituée, confirmée, sédimentée au cours du XIXe siècle jusqu’à l’École de Vienne moderne. De Beethoven à Webern, en passant par Brahms, Liszt, Schönberg et Busoni, le modèle indépassable de Bach n’a pas cessé d’exercer son influence et ses prestiges compositionnels : les grandes formes conçues comme de vastes architectures, dans lesquelles le matériau thématique est choisi en fonction de son pouvoir de développement et de déductibilité du discours musical, l’art de la fugue porté à un degré extrême d’élaboration contrapuntique et inlassablement réinventée, l’art de la variation, tout aussi prodigieusement accompli à travers les très nombreuses versions des Chorals pour orgue par exemple, des Variations Goldberg pour clavecin, ou encore celles de la monumentale Passacaille pour orgue en ut mineur. Entre autres exemples de ce grand art de la variation chez Bach, nous rencontrons la chaconne de la Partita en mineur pour violon seul BWV 1004. Cette œuvre trouve une place très particulière dans le catalogue de notre illustre compositeur puisqu’elle nous offre une magistrale démonstration d’un procédé de composition musicale remarquablement prisé et exploité dans les multiples chaconnes ou passacailles de l’époque baroque. Et en quelque sorte, une fois de plus, Bach aurait assimilé les mille et une expériences de ses pairs, transcendées par la puissance géniale de sa prodigieuse inspiration. Mais d’autre part, Cette œuvre a connu un destin assez exceptionnel, non seulement bien sûr par la véritable consécration que cette œuvre a su recueillir auprès des plus grands interprètes, mais aussi grâce à l’attention et l’intérêt très marqués que deux compositeurs, Brahms et Busoni à la fin du XIXe siècle, ont voulu pointer. En effet, les deux transcriptions que ces deux musiciens nous ont proposées de l’œuvre originale de Bach ont plus que contribué à la diffusion, à un succès jamais démenti, à la reconnaissance d’une œuvre qui va acquérir un statut spécial, à savoir celui de la plus grande modernité. Car les monumentales fresques sonores et pianistiques que nous offrent les deux compositeurs romantiques (et surtout celle très visionnaire de Busoni), inaugurent une période fastueuse, luxuriante des plus illustres talents pianistiques ayant reçu les riches enseignements des virtuoses du XIXe siècle, Fr.Liszt en tête. Enfin cette œuvre a aiguisé l’attention de compositeurs et interprètes très différents les uns des autres, qui les conduisent soit à adjoindre un accompagnement pour piano à la main gauche comme Mendelssohn, Schumann, pâles et timides ajouts au regard de la périlleuse version de Brahms pour la seule main gauche, soit à traiter cette œuvre en transcription pour luth comme José Miguel Moreno ou pour guitarecomme Segovia.

1 - La forme chaconne et passacaille : son origine, ses caractéristiques musicales, l’histoire du genre à travers les compositeurs du XVIIe au XXe siècle

D’origine espagnole, la chaconne et la passacaille sont des danses anciennes sur un schéma rythmique ternaire. Souvent lentes et solennelles, elles se sont imposées au cours et surtout à la fin du XVIe siècle, pour se diffuser ensuite en Italie, en France et dans les pays germaniques. La forme acquiert une importance dans le domaine instrumental très caractéristique de son appartenance à l’époque baroque. Cette danse aux noms quasi interchangeables est intégrée à la suite instrumentale, placée le plus souvent comme pièce finale. La distinction entre les deux, repose sur une différence de vocables dont celui de passacaille correspond à l’expression espagnole de « pasar une calle » (passer dans une rue). À l’époque, il s’agissait d’une musique exécutée dans la rue par le tambourin et la flûte ou le chant et la guitare, à l’occasion d’un cortège ou d’une procession. Quant à la chaconne (de l’espagnol chacona), d’origine américaine, elle aurait été pratiquée dans des couches populaires tels que par les servantes, domestiques ou muletiers à l’aide de castagnettes. Toutefois, il s’avère très hasardeux de vouloir cerner des caractéristiques bien définies pour chacune d’entre elles, tant les deux formes se confondent le plus souvent chez les musiciens, dans le temps comme dans l’espace.
Du point de vue musical, la chaconne s’apparenterait à une chanson à refrain de forme répétitive, ce qui expliquerait que les compositeurs français des XVIIe et XVIIIe siècles l’aient très vite associée à la forme rondeau. Quant à la passacaille, il semblerait que les instrumentistes de la première heure dépassèrent le principe simple de répétition par celui de la variation du motif, déjà appliqué à d’autres danses anciennes. Ainsi désigne-t-on par passacaille, une forme variation fondée sur un thème de quatre ou huit mesures placées à la basse et s’achevant par une cadence parfaite nettement marquée. La régularité cadentielle, la lenteur et la solennité du tempo, la mesure à 3 temps, ainsi que le principe de l’ostinato, sont les caractéristiques essentielles de cette forme imposante à la démarche majestueuse, au caractère démonstratif et ostentatoire, donc baroque par excellence. La passacaille, comme la chaconne et le ground en Angleterre, repose sur une basse immuable qui est le pivot générateur de la composition à partir duquel les multiples variations trouvent leur essor et leur capacité d’expansion. Très en faveur auprès des grands clavecinistes français, la chaconne propose une formule tempérée par la forme rondeau, autre danse et forme musicale particulièrement prisée par les compositeurs de l’époque.
Née au cours du XVIe siècle et issue du réemploi multiple de certaines teneurs dans la polyphonie religieuse, la variation se présente le plus souvent à partir d’un thème inlassablement répété sous la forme d’une basse obstinée, d’un schéma harmonique qui est traité comme une basse contrainte. Elle va trouver son terrain d’élection sur des motifs de danses à succès, très en vogue au début du XVIIe siècle, telles que les airs de Passamezzo antico, de Passamezzo moderno, de la Romanesca, de la Folia, du Ruggiero… et constituer un travail préfigurateur du genre futur de la chaconne, passacaille ou ground. Ce sont les grands virginalistes anglais de l’époque élisabéthaine, les compositeurs germaniques du nord de l’Europe comme J.P.Sweelinck par ex., ou encore des compositeurs plus méditerranéens tels que les grands luthistes français du début du XVIIe siècle, les espagnols A. de Cabezón, J.B.Cabanillès, ou les Italiens de Cl.Monteverdi à A.Corelli, qui ont frayé la voie et généralisé cette pratique de la variation, réinventant sans cesse l’expression musicale à partir d’un motif unique.
Ce grand genre indissociable du style baroque va donc trouver son terrain d’élection auprès des compositeurs des XVIIe et XVIIIe siècles, et connaître alors un épanouissement, une consécration inégalés. Citons, parmi les musiciens les plus confirmés de l’époque à avoir éminemment illustré la forme, des compositeurs tels que G.Frescobaldi, J.H.d’Anglebert, J.Champion de Chambonnières, L.Couperin, Fr.Couperin, M.Marais, N.Lebègue, D.Buxtehude, J.Pachelbel, G.Muffat, J.K.Fischer, G.Fr.Haendel, J.S.Bach. Diffusée dans toute l’Europe musicale d’alors, elle constitue un cadre on ne peut plus favorable pour l’émergence des plus grands chefs-d’œuvre du genre [1]. Parmi ceux-ci, relevons les Cento Partite sopra Passacagli de Frescobaldi, les deux chaconnes en rondeau des 1re et 4e suites de d’Anglebert, ou celles de L.Couperin dont celle en sol m particulièrement prisée chez les interprètes, la très célèbre passacaille en si m., l’Amphibie du 24e ordre du 4e Livre pour clavecin, La Française, l’Espagnole, l’Impériale des sonates en trio de Fr.Couperin, les chaconnes en ut m., mi m. et surtout  m. de Buxtehude, les chaconnes en et en fa de Pachelbel dont les matériaux thématiques se rapprochent étroitement de celui du ground anglais, la magistrale passacaille en ut m. pour orgue de J.S.Bach ou encore la grande chaconne de la 2e Partita en ré m pour violon qui nous occupe ici. Cet inventaire non exhaustif, ne doit néanmoins pas nous faire oublier les nombreux grounds de H.Purcell, dont la Fantasia upon one note à 5 parties, la Sonate-Chaconne en sol m de la VIe sonate en trio, A ground in Gamut pour viole, ou encore les grounds de ses Lessons pour clavecin. C’est donc auprès des grands virtuoses du clavier, clavecin et orgue, que la forme va véritablement acquérir ses lettres de noblesse, pour une période d’un siècle et demi dont la fin, rappelons-le, est marquée par la mort de J.S.Bach (1750). L’engouement des clavecinistes et organistes pour cette forme magistrale, trouve un retentissement particulièrement marqué chez les compositeurs ayant consacré aussi leur force créatrice dans le domaine vocal. C’est le cas entres autres, des compositeurs d’opéras qui nous offrent fréquemment diverses passacailles, chaconnes ou grounds dans leurs œuvres lyriques. En intégrant cette forme dans un genre théâtral et vocal a priori très éloigné de la vocation instrumentale à laquelle celle-ci semblait définitivement vouée, des compositeurs comme J.B.Lully ou H.Purcell mettent en évidence la puissance dramatique que cette forme recèle. Ainsi en est-il de la passacaille d’Armide ou bien la Chaconne de Phaéton de Lully, le Magnificat à 3 voix de M.A.Charpentier, les différents grounds des opéras de Purcell dont la très célèbre Mort de Didon, la chaconne de King Arthur, la passacaille « How happy the lover » de l’acte IV de la même œuvre, ou encore le Crucifixus de la Messe en si m de J.S.Bach. D’autres compositeurs apporteront leur originale contribution au genre, soit en se situant dans le sillage de leurs illustres devanciers, soit en enfreignant les règles intangibles du thème obstiné sous la poussée du préclassicisme : Ex. de la Chaconne des Indes Galantes de J.Ph.Rameau, la passacaille d’Iphigénie en Aulide de K.W.Gluck (absence de la basse).

Caractéristiques générales des thèmes-motifs de chaconne et passacaille, dans la conduite de la basse

En exerçant notre écoute comparative sur l’ensemble des basses qui sont soumises au principe de l’ostinato, fondement intangible des variations consécutives, nous sommes frappés par leur caractère fortement stéréotypé, toutes articulées sur la structure du tétracorde, le plus fréquemment descendant. De plus, cette standardisation de la basse nous permet de classer le corpus thématique en trois catégories :

- L’ensemble des thèmes élaborés autour d’intervalles disjoints qui sont inspirés par les mouvements cadentiels issus de l’intervalle de quarte, caractéristique majeure de la fonction de basse :

Thème de la Ciaccona en ut M. pour clavecin de Pachelbel

Thème de la Ciaccona en M. pour clavecin de Pachelbel

Thème de ground-passacaille en ut min. extrait de l’acte I de Didon et Enée, H.Purcell

Thème de la chaconne du dernier acte de Fairy Queen de Purcell

Chaconne de Phaéton de Lully

Thème de la Passacaille en ut min. pour orgue de J.S.Bach

Thème du finale de la 3e Symphonie de Beethoven

- Le groupe des thèmes fondés sur une ligne conjointe, s’achevant sur l’inéluctable cadence parfaite :

Thème de la chaconne en la min. pour clavier de K.Fischer

Thème de Vénus et Adonis de J.Blow

Thème de la chaconne du Roi Arthur de Purcell

Thème de la Passacaille en si min. pour clavecin de Fr.Couperin

- Enfin, un 3e groupe de thèmes fondés sur un mouvement conjoint chromatique, confiant à l’ostinato une expression plus envoûtante :

Thème funèbre en sol min. extrait de l’acte III de Didon et Enée, H.Purcell

Thème de la Passacaille en sol min. pour clavecin de L.Couperin

Thème obstiné du Crucifixus de la Messe en si min de J.S.Bach

Thème de la basse des 32 Variations pour piano de Beethoven

2 – Quelques repères biographiques de Busoni


 [2]

Ferruccio Busoni

(1866-1924)


- Né en 1866, il présente une double origine italienne et allemande, et incarne une sorte de synthèse de la culture musicale méditerranéenne et germanique. Il se remarque par sa formation de pianiste virtuose, et mène parallèlement une carrière de compositeur.
- À partir de 1888, il entreprend un vaste travail de transcription pour piano, à partir d’œuvres de J.S.Bach initialement consacrées à l’orgue surtout, et au violon dont la chaconne en mineur.
- Au début du siècle, avant la Première Guerre mondiale, Busoni poursuit ses efforts pour défendre la musique contemporaine, alors contestée de manière virulente. C’est par une série de concerts qu’il dirige à Berlin, que Busoni assure la promotion de la musique nouvelle.
- Sa brillante carrière de pianiste virtuose le prédispose à diffuser les pages les plus flamboyantes de Fr.Liszt, à défendre le répertoire puissant et hautement didactique de J.S.Bach, réhabilitant au passage les concertos de Mozart, compositeur quelque peu négligé à l’époque.
- En 1906-1907, il publie un court essai, « Esquisse d’une nouvelle esthétique musicale », dans lequel le compositeur, très engagé dans la musique de son temps, va exposer des aspects théoriques particulièrement prophétiques dans sa pratique de compositeur. En effet, dans cet ouvrage, Busoni conteste hardiment l’idée que le langage musical puisse se limiter au système tonal classique avec tous les principes formels qui lui sont étroitement liés. Ce faisant, il nous propose un élargissement non conventionnel des techniques de composition, à la multiplicité des modes (les possibilités quasi infinies d’agencement des # et des b à l’intérieur d’une échelle donnée), à l’emploi de thèmes folkloriques ou orientaux (Indianishes Tachebuch, 1915, Turandot, 1917), à la polytonalité (Sonatina seconda pour piano de 1912), au chromatisme intégral de l’atonalité (Élégie pour piano de 1907), aux micro-intervalles, voire même à l’électronique. Il conçoit le caractère expérimental de la musique, et par là même, la production de timbres inédits. Cette réflexion résolument tournée vers l’avenir moderne et contemporain de la musique, projette le musicien, théoricien à ses heures, au tout premier rang de l’avant-garde.
- Conformément aux idées très audacieuses qu’il défend, certaines de ces œuvres illustrent leur appartenance à une époque musicale prédisposée à l’usage généralisé de dissonances propices à l’émergence de l’atonalisme, comme l’imposent entre autres les compositeurs de l’École de Vienne. Outre les œuvres précitées, ainsi en est-il de la Fantaisie indienne op.44 (1913) ou bien de la Romanza e scherzoso op.54 (1921) pour piano et orchestre.
- Parmi les œuvres les plus modernistes et pouvant souligner le mieux l’esthétique anti-conventionnelle de Busoni, retenons Arlecchino op.50 (1916) et Turandot (1917), spectacles parodiques dont la singularité théâtrale rompt avec un certain conformisme de l’opéra. Mais c’est avec Doktor Faust (1925) que Busoni donne toute la mesure de son éclectisme novateur.
- En marge des modes de son temps (l’engouement wagnérien et l’influence impressionniste de Debussy), Busoni sollicite, en tant que compositeur, ses liens avec Beethoven, Berlioz ou Liszt. On compte parmi ses élèves des figures aussi dissemblables que K.Weill et E.Varèse dont la force préfiguratrice trouve peut-être ses racines à travers un enseignement aussi fécond que novateur, dispensé par un pédagogue généreux et visionnaire.
- Radicalement orienté vers un avenir prometteur de la musique du XXe siècle, Busoni, futuriste iconoclaste, avait cet insigne avantage, qu’il partageait avec l’un de ses illustres pairs comme Schönberg, d’articuler ses créations sur une puissante tradition classique, toujours revendiquée. Conçue comme le véritable fondement des grandes innovations, cette tradition contient les germes des expériences les plus fulgurantes, d’où le concept de nouveau classicisme ou de musique universelle inventé par Busoni. Des œuvres comme la Fantasia contrappuntistica (1912) d’après la fugue inachevée de l’Art de la fugue de J.S.Bach ou encore son Concerto pour piano (1904), immense fresque lisztienne, ses nombreuses transcriptions d’œuvres de Bach, Beethoven, Brahms, Liszt… confirment cette révérence du grand pianiste-compositeur pour la culture musicale classique.
- Grand précurseur de la musique moderne et contemporaine, Busoni disparaît (1924) à un moment où les règles dodécaphoniques sérielles sont définitivement édictées par Schönberg, offrant ainsi un cadre viable à quelques générations de compositeurs les plus marquants du XXe siècle.

3 – Les aspects formels de l’œuvre à travers son matériau thématique, son découpage, les types d’écriture adoptés pour assurer la progression formelle

 [3]
Première page manuscrite de la Chaconne pour violon de J.S.Bach (vers 1720)

Le thème repose sur un schéma cadentiel irréductible (I,V,VI, IV,V, I) que solennise l’accent de la noire élargie porté sue le 2nd temps des 1res mesures. La pesanteur hiératique de chaque accord est soulignée par leur répétition, les faisant rebondir d’un temps sur l’autre, et une accentuation marcato de caractère déclamatoire. Cette qualité particulière du phrasé rythmique confère à la raideur martiale naturelle de la chaconne une plus-value expressive. Et il semble bien que ce thème délivre un surcroît d’austérité et de ferveur. À cette surenchère expressive, la déclamation rythmique de chacun des accords constitutifs participe. Une tension continue et étendue sur toute la phrase, renforce le pouvoir saisissant d’un principe rythmique de caractère naturellement altier, empesé et guindé. Ainsi, résulte un excès d’emphase qui enrobe l’énoncé du thème d’une aura sacrée, voire mystique (affinités expressives de cette chaconne avec la grande Passacaille pour orgue de Bach). Sur ce schéma implacable vient s’imprimer une ligne mélodique distincte, dont l’individualité nettement définie rompt avec la neutralité anonyme du schéma standardisé de la basse. Cette prégnante courbe contribue tout autant à la sévérité du phrasé et au caractère d’injonction qu’elle partage avec le sujet de la forme fugue concurrente. Ce chant supérieur épouse le trajet ternaire classique d’anacrouse-accent-désinence, dessinant avec élégance une courbe en arche :

À noter que le schéma rythmique proche de celui de la sarabande, repose sur une structure génératrice d’œuvres essentiellement françaises, comme la Passacaille de l’opéra Armide de Lully, les variations sur Les Folies d’Espagne, celles issues de la 3e suite en ré min. de J.H.d’Anglebert, ou encore Les Folies françaises ou Les Dominos, 13e ordre du 3e Livre de Fr.Couperin :

Ostinato de la Passacaille dans Armide de Lully

Thème de la Folia et des Folies françaises de Fr.Couperin

Toutefois, cette caractéristique française ne doit pas nous faire oublier ses liens très étroits avec les origines rythmiques espagnoles, tels que l’on peut les déceler, par exemple, dans La Folia con variazioni, Sonate n°12 op.5 pour violon de A.Corelli. Et c’est bien cette tradition hispano-française que retiendra également Beethoven pour le thème de ses 32 Variations pour piano :

Thème de la m-d. dans les 32 Variations pour piano de Beethoven


Variation I

Les variations I et II développent les potentialités accentuelles du rythme pointé qui se resserre en croche pointée et double croche, en lieu et place de l’ample noire pointée initiale. Ce rythme implacable se généralise sur l’épisode des deux variations constituant une unité indivisible que nous pouvons considérer comme un 1er groupe. L’indissoluble continuité des deux variations est renforcée par le lien rythmique assuré mes.8, lors de la cadence parfaite du thème, et se diffuse autour du cadre mélodico-harmonique des 4 premières mesures du thème (1re variation) :

mais aussi par l’élargissement, l’épaississement progressif des registres des lignes. Ainsi, l’ampleur de l’élan, la progression ascendante de cet épisode s’effectue à partir du principe de l’octaviation des lignes se propageant de proche en proche, d’un registre à l’autre. Et c’est aussi de l’anacrouse initiale que cette vaste progression puise son énergie ascensionnelle 

La régularité mécanique des carrures concourt au mouvement inéluctable de la progression dans la mesure où d’explicite (l’énoncé proprement dit du thème suivi de sa 1re expression variée), le thème devient implicite dans la 2nde variation. Et cela d’autant plus que les piliers harmoniques annexent autour de leur parcours, des harmonies chromatiques (mes.17, 18, 21, 22). Succombant aux tensions rythmiques du thème, ce chromatisme harmonique se diffuse dans la texture serrée des lignes réparties entre les deux mains de manière homorythmique. Se superpose en surimpression, l’élément rythmique fondamental de la 1re mesure, inlassablement dupliqué et scandé (l’omniprésence du marcato) au cours des deux variations.

Variation III

Les deux variations précédentes représentent une tentative de linéarisation mélodique des harmonies qui rompt la rectitude, la rigidité originelle du thème. La 3e variation constitue une 2nde étape vers l’expression chantante du thème :

Il s’agit d’une vaste arabesque mélodique, véritable paraphrase chantante et ornementale se greffant naturellement sur les accords neutres du schéma harmonique. Elle surgit comme une aria vocale pour les 4 premières mesures, une figuration instrumentale pour les 4 suivantes, véritable paraphrase décorative de la 1re carrure. Elle repose sur un motif de tête qui sera réinvesti pour la variation IV, et de mélodique il acquiert dans cette dernière des qualités harmoniques :

Variation IV


La variation IV est donc une variation de la précédente selon la technique de la variation de variation, et les pièces III et IV constituent donc le 2nd groupe de l’œuvre. À noter que l’enchaînement de ces deux dernières procède du même principe appliqué aux deux premières, à savoir une texture harmonique plus dense (mes.32 à 36), doublée de l’extension arpégée de la figuration instrumentale (mes.36 à 40) initialement plus mélodique (mes.28 à 32). L’intensité expressive résulte aussi de l’adjonction d’appoggiatures d’ordres mélodique et harmonique qui affectent de tensions multiples les élémentaires accords du thème, mais aussi d’une certaine redondance harmonique, dans la mesure où chaque croche est affectée d’un accord. Ce faisant, cette dernière variation effleure les couleurs des tons voisins par le jeu des dominantes de passages (V de  min., de la min., de sol min., de la mobilité modale du 6e degré de  min., si bémol ou si bécarre). Ses tonalités se fuyant à elles-mêmes engendrent la fluctuation diésée ou naturelle du do, du fa et du sol. La chromatisation croissante de la variation IV obéit à cette même recherche d’élargissement expressif, établi dès le 1er groupe (I et II). Elle est issue des broderies autour des sensibles mélodiques du do#, des fa# et sol#, étendues sur le cours tranquille des figures mélodiques et déployées à la main droite dans la variation IV (mes.28 à 32).

Variations V et VI

Les variations V et VI poursuivent la logique de continuité par groupe de 2 variations. Il s’agit donc du 3e groupe (mes.40 à 56) au cours duquel le motif rythmique de la mes.2 se reconstitue, dilué qu’il était dans les figures harmoniques verticalisées ou linéarisées précédentes (Var.IV). Mais ce module rythmique, fondement essentiel du thème, se raidit sur la crispation de la double croche et des silences qui isolent, appesantissent chacun des accords de la m-d., le tout exécuté dans une frénésie de phrasé que soulignent les octaves trépidantes de la basse. Ainsi remarquons-nous les affinités phraséologiques que présente cette nouvelle interprétation du thème avec celui dont Beethoven s’emparera pour ses 32 Variations. D’ailleurs la légère accélération du tempo (Più mosso) est renforcée par la courbe ample des mouvements alternés et contrariés de gammes (mes.40, 42, 44, 46) ou de dessins harmoniques brisés (41, 43, 47), tout ceci se calquant sur une main gauche spatialisée (la stricte octaviation de la ligne de basse imprimée sur un mouvement continue de doubles croches). Et le caractère fondamentalement harmonique du thème s’affirme de manière péremptoire à la m-d. qui déclame les accords complémentaires de la basse. Remarquable est la progression en arche, strictement conjointe de la m-d. (sib pour le versant ascendant, sib → pour son contraire). Quant à la variation suivante (mes.48 à 56), elle déploie les 8 mesures du thème dans un espace sonore à nouveau renforcé et agrandi, selon un effet qui se reproduit pour la 3e fois, et qui détermine la propagation à la m-d. des figures instrumentales ainsi redoublées. En doubles croches ininterrompues, celles-ci sont dérivées et inspirées par les mouvements en vagues successives de la variation V antérieure. La dynamique spatiale et expressive élargit les registres et s’enrichit des vastes mouvements en éventail entre les deux mains (mes.52 à 56). L’éclat et la plénitude de l’écriture semblent ici atteindre une sorte de culmination, que l’on pourrait considérer comme un véritable climax (mes.55–56) à la manière romantique dont Busoni ne semble pas s’échapper.

Variation VI (mes.48-49 et 51-52)



La variation VI poursuit le mouvement librement renversé des éléments de gammes qui tournoyaient à la basse dans la variation V, transféré ici à la m-d., et renforcé par la doublure de la m-g. Le découpage du thème en deux moitiés complémentaires (mes.46-50 et 51-55) détermine des dessins pianistiques incurvés en sens inverse .  Cette orientation contraire prédispose l’écriture à mettre en relief la symétrie : les successions conjointes pour la 1re moitié, les arpèges brisés pour la 2nde (mes.51- 55).

Variation VII

C’est pourquoi se maintient dans la variation VII le principe de symétrie et d’inversion entre les deux mains (mes.60-64). La variation VII représente l’aboutissement inéluctable du mouvement longuement étiré des 2 variations précédentes. Elle libère toute cette énergie accumulée (mes.40 à 56) sur les doublures à l’unisson d’un thème énoncé ici de manière homophonique (mes.56-59) :

Le strict parallélisme des deux mains rivalise de densité avec le travail d’orchestration dont la qualité première est de spatialiser les riches résonances des harmoniques. Et les larges déplacements de la m-g., doublés par la m-d., investissent de façon orchestrale le riche espace des registres du piano. Le thème amplement déclamé se nourrit des riches doubles broderies toujours octaviées (mes.56… 3e temps) et dont la qualité mélodique contribue à réguler la rigueur des mouvements cadentiels (2nd temps). Cette ultime étape qu’est la variation VII persévère dans cette écriture à 3 parties rythmiquement parallèles, et déjà adoptée dans la variation VI. Le lien demeure étroit entre les deux, là encore. Les harmonies brisées, dispersées (mes.60-64) se projettent dans un espace qui scelle de manière définitive les oppositions entre registres grave et aigu, accusant davantage encore les courbes divergentes des deux mains (mes.52 à 56 et 60 à 64).

Variation VIII et XI

En effet, la variation VIII reprend à son compte le principe du renversement et de l’inversion symétriques (mes.70 et 71) des figures pianistiques entre les 2 carrures (mes.64 à 68 et 68 à 72) :

En outre, les tensions et les détentes rythmiques sont réparties avec une telle régularité à l’intérieur de la mesure (les 2 premiers temps contre le 3e) que s’impose avec force la sensation d’opposition et de complémentarité des registres évoquées plus haut. Selon une mise en œuvre introduite dans la variation VII, l’énoncé du thème durcit son caractère pulsatoire associé à une sorte de rétention puissante du mouvement rythmique (mes.56, les croches déclamées avec emphase et majesté, mes.64, le phrasé détaché semblant canaliser, voire freiner le glissement naturel des mvts conjoints, 1er et 2e tps). Un nouveau motif se profile dans le registre médium (mes.64) se dotant de propriétés mélodiques (le mvt conjoint) dont était dépourvu le balancement cadentiel correspondant dans la variation précédente (mes.56). Et il s’agit bien ici d’approfondir mélodiquement ce mouvement de balancier auparavant réduit à son rudimentaire intervalle (mes.56…). Les gammes déferlantes libèrent l’énergie concentrée sur les deux premiers temps des mesures, tandis que ceux-ci, dans leur retenue et précision rythmiques, semblent au contraire contenir, réfréner les promesses d’élan du phrasé (staccatissimo). Ces gammes sont annonciatrices du style improvisé propre au genre fantaisie, qui va prévaloir dans la variation IX. Enfin, on peut considérer cette variation comme une proposition mélodique de la précédente dont le matériau était rigoureusement harmonique malgré son cheminement homophonique et linéaire (mes.56 à 60).

Variations IX et X

Le style de la fantaisie ou bien le style cadentiel de concerto détermine les traits-fusées des gammes improvisatrices, exécutées avec une frénétique volubilité, une transcendante impétuosité des deux mains. À distance d’octave, m-g. et m-d. se poursuivent dans un strict parallélisme balayant toute l’étendue du piano virtuose (mes.72 à 77). Le déroulement interne de cette variation obéit à une totale liberté d’invention. En effet le schéma harmonique et rythmique initial est totalement dilué dans les figures volubiles et précipitées des gammes montantes (mes.72 à 76) ou descendantes (mes.76). Mais, d’autre part, la dissymétrie de son découpage (5 mes.+ 3 mes.) place cette variation sous le signe de la transition, sorte de parenthèse vagabonde avant le retour obligé d’un thème soumis au travail rythmique, harmonique, aux recherches multiples et variées de l’écriture choisie, portant sur le dispositif particulier des deux mains du piano (mes.77 à 81). Quel formidable contraste entre les deux aspects de cette transitoire variation ! Quel vertigineux abîme sépare ce climax de la virtuosité de la variation X suivante, toute en douceur feutrée, poétique, et caractérisée par un toucher de piano délicat, félin, pénétrant ! Elle permet aussi à un acte pianistique de la plus haute bravoure de ménager la dépense énergétique nécessaire pour l’exécution d’une œuvre aussi monumentale. Ainsi, cette carrure transitoire (mes.77 à 81) instaure un continuum indéfectible de l’écriture entre les variations IX et X, afin de mieux reconquérir un travail compositionnel se voulant plus sophistiqué. Après ce rubato formel des 9 mesures précédentes (mes.72 à 81), l’écriture du piano se ressaisit sur son schéma rythmico-harmonique naturel, à savoir la séquence de 4 mesures et son multiple conséquent de 8 mesures correspondant à l’énoncé complet du thème. Rétrospectivement, les variations VII, VIII et IX peuvent en conséquence être perçues comme un tout indissoluble. Nous avons vu combien des affinités les rattachent entre elles, mais aussi parce qu’elles convergent et progressent selon une certaine croissance rythmique (doubles croches → triples croches), un accelerando dynamique qui les rabat les unes vers les autres avec toujours plus de célérité. Enfin, ces variations sont engagées autour de pôles harmoniques inexplorés jusqu’alors, à savoir l’accord d’ut bécarre, de fa (mes.57, 65, 66, 69), et de sib (mes.58, 70). Tout cela contribuant à enrichir l’impression de liberté improvisatrice qui semble toujours davantage innerver ce groupe de variations, jusqu’à atteindre ce point culminant structurel et expressif qu’est la carrure élargie des mes.72 à 77.

Variations X (mes.81 à 89) à XVI (mes.129)

La vocation de la variation IX transitoire fut de ménager une période de détente au sein d’un parcours prédéterminé et d’une rigidité extrême. Quant à la variation X, elle se présente comme un véritable exercice de style sur le phrasé (effleurement du toucher) et l’écriture harmonique. Havre de paix, elle s’étend sur le cours tranquille et plus intimiste (caractère dolente, nuance p) de ses figures harmoniques toujours orientées de manière divergente. Cette variation reprend à son compte le principe de symétrie des figures inversées de 4 en 4 qui avait été adopté pour les variations V à IX, mais aussi, de par sa singularité et relative indépendance, elle prolonge d’une manière tout autre l’effet de détente que la variation IX avait introduit. Car l’auditeur comme l’interprète ont besoin de reprendre souffle pour aborder le groupe de variations suivant, long épisode que constituent les variations X à XVI. Les accords se déploient paresseusement, répartis en éventail entre les 2 mains, ils se distendent, s’étalent sur chaque mesure (un accord par mesure). Ce faisant, nous obtenons un dispositif polyphonique latent, à 4 voix instrumentales : la main droite s’empare de l’accord arpégé descendant, en doubles notes rebondissant sur elles-mêmes (les 2 premiers temps de chaque mesure), en intervalles harmoniques parallèles (2 voix). Quant à la main gauche, elle imprime son dessin contrarié en croches pulsatoires. Ces pulsations de croches régulières accentuent le phrasé legato de 2 en 2 dominant au-dessus. La partie inférieure met en relief 2 plans sonores, dont la basse octaviée (mes.81 à 85) placée sur les demi-temps extrêmes, engendre dans sa résonance les harmoniques supérieures d’un ténor fictif. Et c’est ainsi que le « 4 voix » poursuit son développement à travers quatre couches sonores, parallèles 2 à 2, en éventail entre les deux mains pour la carrure inversée (mes.85 à 89). Toute cette variation est conçue à partir des accords de 7e diminuée (V de la min., de sol min., de  min.) et de leurs renversements. Le chromatisme et la multiplication des notes sensibles, qui sont inhérentes à cet accord, confèrent à cette variation une instabilité et une tension augmentées par l’absence de tonique. Sous l’emprise de ces figures d’une élasticité distendue, la variation glisse inexorablement vers la suivante pour y trouver un aboutissement justifié. Ce long V artificiellement étiré, trouve son inévitable résolution mes.89, c'est-à-dire sur le 1er temps de la variation suivante. Si bien qu’à cette variation XI est dévolue une fonction de résolution cadentielle prolongée : la pédale de entretenue dans les figures brisées des triples croches (mes.93…). La persistance de cette tonique réintroduit un équilibre tonal entre les deux variations concernées, liées l’une à l’autre par ce rapport nécessaire, V-I.

Variations XI à XVI (mes.129)

Désormais les variations vont s’enchaîner selon une indissoluble continuité, accrue par un procédé simple mais efficace : Busoni rompt le système d’ordonnancement des variations I à XI, qui repose sur l’unité de l’écriture appliquée à des variations groupées par paires. Aussi la variation XI inaugure-t-elle le principe de l’anticipation, du chevauchement des carrures d’une variation à l’autre, dans la mesure où les carrures sont toutes dérivées les unes des autres (ex. mes.97 à 101 et 105 à 109, 1res carrures des Var.XIII et XIV). Le caractère indivisible de ce groupe de cinq variations est renforcé par l’unité de l’agogique et du rythme (les figures de triples croches). Plus encore, les 2 carrures de la variation XI (mes.89 à 91 + 125 à 129) sont dissociées et ont pour fonction d’encadrer de part et d’autre la succession ininterrompue de ces variations (mes.89 à 129). Cet ensemble se referme selon l’archétype formel ternaire : une carrure d’introduction complétée symétriquement par une carrure de terminaison. Le procédé de brouillage des articulations entre les variations va donc s’exercer sur le net découpage des carrures qui se détachent les unes des autres par une formule pianistique distincte, mais pouvant astucieusement coïncider de l’une à l’autre par le jeu des affinités d’écriture, au voisinage et à distance. Ainsi, l’anacrouse du thème (mes.129), retrouvant son profil initial pour la variation XVI, voit se maintenir en fondu-enchaîné la basse octaviée de la variation XI, 2nde carrure. Les figurations choisies sont particulièrement illustratives de l’écriture instrumentale baroque à laquelle J.S.Bach recourt dans ses œuvres pour clavier en particulier (clavecin et orgue) : répartition des 2 mains propre à l’invention à 2 voix (Var.XI), le style toccata (Var.XII, mes.93), le style fantaisie ou prélude des arpèges contrariés (Var.XIII, mes.101 et XIV, mes.109), des formules scintillantes et légères issues de l’écriture oscillatoire et brisée de la toccata (2ndes carrures des Var.XII et XIII), extension, projection, écartèlement des accords brisés sur un espace généreusement agrandi, élargi en 3 ou 4 niveaux polyphoniques (Var.XIV et XV, mes.117). L’étagement de ces différents plans sonores laisse émerger ou planer une empreinte en valeurs larges (les noires) qui circulent d’un plan à l’autre, de la basse (Var.XII, XIV) à la ligne supérieure (Var.XV) en passant par le registre du médium. Enchâssé dans ce réseau polyphonique, le jeu très subtil des accents contrariés vient s’imprimer autour des figures légères et tournoyantes : d’un côté un phrasé qui s’arc-boute sur la ligne conjointe des puissantes et résonantes pulsations de la basse (Var.XIV et XV), de l’autre, de vigoureux accents à contretemps, décalés, semblant démentir la trop grande fermeté, l’évidente assurance des pulsations graves (XIII à XV). D’ailleurs ce jeu persistant des contretemps est un facteur supplémentaire d’unification pour l’ensemble des variations concernées. Enfin, plus nous progressons dans la partition, plus nous percevons combien le(s) compositeurs(s) s’autorise(nt) de liberté par rapport à un canevas harmonique de départ qui constituait surtout un réservoir de degrés solidement attachés à la tonalité de  min. C’est ainsi que très vite, s’insinuent dans cette trame des harmonies glissantes, passagères qui tendent à édulcorer la rigidité prégnante de la proposition tonale initiale. Nous avons vu que ces harmonies pouvaient résulter du chromatisme (Var.III et surtout X). Mais au fond ces emprunts passagers et fuyants gravitent autour des pôles fondamentaux de la tonalité principale renforçant l’étroite sujétion des V des tons voisins (sol min., sib M., la min., ut…) à la tonalité centrale. Ces harmonies à la fois instables et expressives peuvent s’interpréter de deux manières :
- Des tonalités satellitaires dites voisines qui ne font que confirmer le rôle polarisateur de la tonalité principale. Or, cette puissante attractivité de la tonalité est une donnée fondamentale du style baroque musical.
- Cette tendance au monotonalisme de l’époque baroque n’est pas incompatible avec un chromatisme envahissant et audacieux, parfois sulfureux (ex. de la Fantaisie chromatique et fugue pour clavier de Bach). Elle traduit ce goût pour les contrastes, les jeux d’opposition, pour les antithèses les plus extravagantes qui sont profondément ancrés dans la conception esthétique de l’art baroque. Les variations IV et X peuvent ainsi relever de cette vision.
- Mais, d’autre part, la multiplication des 7es diminuées qui ont pour vocation de démultiplier les sensibles suspensives, des appoggiatures chromatiques diffuses, rappellent la profonde proximité du style de Busoni avec l’harmonie pianistique de l’époque romantique (variation X). Et c’est probablement l’écriture lisztienne de Busoni qui nous autorise à établir cette affiliation du chromatisme harmonique de la chaconne à l’écriture harmonique du romantisme.
Variations XVI, XVII, XVIII (mes.129 à 153)

La Variation XVI inaugure la 3e grande partie de cette pièce. Elle reconstitue somptueusement le thème, tel qu’il se présente initialement mais en l’enrichissant de doublures harmoniques de type orchestral, en figeant les accords qui le structurent selon une stricte verticalité et homorythmie (suppression des figures ornementales initiales). Étoffée, dotée d’une harmonie se déployant sur 4 niveaux associés, cette variation marque une étape structurelle décisive, mais incarne également le style romantique de la marche funèbre. Cette facture de superposition des plans harmoniques fait irrésistiblement penser aux déclamations hymniques et symphoniques du XIXe siècle (Beethoven, Wagner, Bruckner, Mahler…). Le cortège austère des accords assure la reconquête ascétique du thème. Car ce dernier est placé à la suite des divagations digitales précédentes, les plus éloignées de la rigueur harmonique du thème et apparaît comme le signe d’une véritable réexposition de l’œuvre. La maîtrise architecturale de l’ensemble nous rappelle la tradition visionnaire des grandes formes chez les compositeurs germaniques, de J.S.Bach à Brahms en passant par Beethoven. L’austérité souveraine du thème se répand avec insistance autour de ces 3 variations qui radicalisent en quelque sorte la sévérité méditative et la plus abstraite de l’écriture. Ce groupe ternaire s’oppose donc au souffle de liberté et de fantaisie qui animait les variations virtuoses de la 2nde partie. La variation XVI clôt cette 2nde partie et représente un aboutissement nécessaire qui justifie rétrospectivement le travail d’écriture virtuose poursuivi au cours de son développement. Mais elle occupe aussi une fonction charnière dans la mesure où elle annonce une bifurcation, un changement d’orientation de l’inspiration : la rectitude homorythmique du thème.

Variations XVII et XVIII

Le thème conquiert ici la tonalité homonyme de M qui va unifier ce grand bloc des variations XVII à XXVI (mes.129 à 223). Le thème en  M est de surcroît métamorphosé, transfiguré par sa nouvelle présentation harmonique de choral. Car il s’agit bien d’un choral dont la reprise variée est assurée par la variation XVIII (mes.145). Une nouvelle mélodie se profile au supérius rappelant la richesse des virtualités mélodiques que peut générer un cadre harmonique simple. Cette mélodie de choral est entonnée dans une couleur sombre et profonde de l’instrument que Busoni imagine proche du timbre des cuivres (quasi Tromboni). Il conçoit ensuite dans la variation XVIII un élargissement des registres que révèle la propagation de l’écriture octaviée aux deux mains, tel le tutti de l’orchestre se réappropriant de manière plus éloquente la prière recueillie du quatuor des cuivres. Ce principe de la progression d’une variation à l’autre détermine aussi la diffusion du mouvement en croches qui contribue au renforcement de la progression dans son amplitude, sa dynamique (crescendo), son animation croissante, son timbre plus soutenu (sostenuto, sostenendo). Toutefois, la différence entre les 2 variations résulte du support mélodico-thématique : le thème de choral pour la 1re, un contour mélodique et rythmique plus proche du thème initial pour l’autre mes.145).

Variations XIX et XVIII

Quatre mesures de transition (mes.153 à 157) rétablissent les figures en diminution rythmique (les doubles croches), pour que s’épanouisse une version décorative du choral (mes.157). La variation XIX se déploie sur les 3 plans sonores relevant du fameux dispositif polyphonique en trio qui est communément adopté dans toute la musique baroque. Aussi, le thème-choral est transféré dans la partie de ténor (tel un jeu d’anches à l’orgue), tandis que la partie supérieure délivre volutes et arabesques des arpèges brisés en une formule rythmique continue préparée dans la transition. Cette longue et libre figuration, toute en courbes et contre-courbes, est une formule qui déroule son dessin linéaire sur des arpègements d’accords accentués sur le 2nd temps. Ce système rythmique reproduit sur chacune des mesures (noire, blanche) avait été instauré lors du 1er énoncé du choral (mes.137). Il confère à ce groupe du thème-choral un phrasé spécifique, mais qui ne fait qu’exacerber l’accentuation définie lors du 1er énoncé du thème.

Variations XX et XXI

Strictement articulées autour du Tonique-Dominante deM, les variations XX et XXI sont des variations-charnière. Elles se développent comme une étude pianistique fondée sur le principe des déplacements rapides des mains et de la confrontation virtuose de registres striés par des staccati rebondissants et disposés en cascade, des ponctuations octaviées irruptives, des accords ressassés con strepito. Le caractère didactique de l’étude, en vigoureux accords rebattus, conduit à la simplification extrême de l’harmonie, au dépouillement thématique. Et c’est ainsi que ces 2 variations peuvent être perçues comme une transition succédant au choral précédent et frayant la voie à une nouvelle interprétation mélodico-harmonique du thème.

Variations XXIII à XXVI

Car le thème restitue avec fermeté ses propriétés rythmiques initiales (Var.XXIII). Issu du registre sombre et du profond tremolando de la main gauche, il reconquiert la plénitude harmonique des doublures octaviées (Ex. mes.203 à 207) que les variations antérieures avaient fait disparaître dans des figurations prolixes plus linéaires. Le caractère hiératique et monumental de ce thème détermine une écriture recto tono, psalmodiée à laquelle apportent leurs concours les notes supérieures et les accords répétés de l’homophonie. Ces accords thématiques résonnent à nouveau avec ampleur et profondeur. Inscrit sur une main droite triomphante, il accède au registre médium non exploré jusqu’alors, un registre davantage propice à cette expression éclatante que recèlent naturellement les harmonies du thème. Selon la procédure habituelle d’enchaînement des variations, la variation XXIV (mes.207) investit un espace agrandi qui élève vers des registres plus lumineux les somptueuses harmonies du thème, évoluant en un mouvement conjoint moins austère. Ce mouvement engage les accords dans une sorte d’échappée mélodique par laquelle ce groupe trouve son ultime accomplissement. Le thème rayonne dans toute son ampleur, tel un tutti qui surgirait au moment du climax, point ultime de la progression. Les accords constitutifs du thème s’élargissent fastueusement en doublures et harmoniques multiples. La 2nde carrure de la variation (mes.211 à 215) s’appuie sur les brisures octaviées de la m-g., renouant de façon unitaire avec la carrure transitoire des mes.125 à 129. Mais l’agrandissement intervallique de ces arpèges brisés à la basse, constitue une surenchère par rapport au modèle qu’offre la carrure antérieure, répondant ainsi à cette logique omniprésente de la conception d’enchaînement : les différentes phases qui soudent les variations en groupes successifs, résultent d’un processus en expansion, dans l’espace et le temps. C’est pourquoi la variation XXV (mes.215) fait éclater avec fougue tous les registres (id. variations VII, XIII, XV…). Les figures rebondissantes se propagent en cascades incessantes selon un dispositif ici plus concentré que celui déjà mis en œuvre dans les variations XX et XXI (mes.165). Nous avions alors souligné la fonction de transition assumée par ces 2 variations. La variation XXV remplit le même rôle et referme ce groupe de variations en ré M sur lui-même. Elle représente ainsi un véritable signal dont la puissante et véhémente culmination (con fuoco, martellato, les f z, le trille ritenuto) contribue à faire basculer l’auditeur vers de nouveaux horizons de la chaconne, à savoir sa phase de péroraison que recouvrent les Var.XXVI à XXXII. L’ultime phase de tout ce long processus formel est caractérisée par la dissolution de l’esquisse chantante, que les variations précédentes avaient laissé émerger, dans la matière bouillonnante des résonances harmoniques et de toutes les figures houleuses, vibratoires du piano.

Variations XXVI à XXXII

La Variation XXVI (mes.223) inaugure une série de variations qui vont s’attacher à restaurer le phrasé ternaire du thème dans son accentuation immuable des 3es tps, chargés d’impulser le déroulement des mesures. C’est de son balancement ternaire et de l’élément-broderie du thème, broderie savamment déplacée à l’intérieur de la mesure, que la variation extrait ses ressources mélodiques d’une figure placée sous le signe de la mélancolie élégiaque. Elle s’incarne en une ligne décorative dont la ténuité, la fragilité s’oppose violemment aux prouesses digitales. Le linéarisme dépouillé de son dessin est conduit par un marquage régulier des 1ers et 3es tps, sur lesquels des repères discrets et de fugitifs accords nous obligent à reconstituer et compléter la substance harmonique du thème. Néanmoins, la légèreté de l’écriture répartie sur deux plans (la guirlande figurative et chantante + les accents harmoniques) favorise les croisements des mains. Soulignant ainsi la plastique quasi vocale de la ligne, cette légèreté aérienne de la technique détermine pour la variation XXVII (mes.232) la dissolution des repères trop précis du thème. La ligne se fragilise en un chant continu d’une profonde et enveloppante douceur qui transcende l’apparente technicité des arpèges contrariés, l’harmonie apparaissant en cet instant comme transfigurée par un chant intérieur.
Dans la Variation XXXII, le thème redoublé à l’octave se réincarne dans une solennité post-romantique inspirée des grands symphonistes. Ce thème pénètre tous les niveaux du discours, soulignant le goût du musicien pour une homophonie dense et massive, pour les grands effets de puissance propres au plein jeu de l’orgue, dont Busoni à l’instar de Liszt était aussi familier. En outre, l’allure hymnique du thème n’est pas sans rappeler le style monumental de certains thèmes beethovéniens ou inspirés par ce modèle indépassable de la composition musicale. Plein jeu de l’orgue symphonique ou tutti du grand orchestre, la sonorité grandioso du choral ultime est énoncée avec toute la plénitude sonore que requiert cette réincarnation cyclique du thème.

Caractéristiques générales de la forme

Ce qui est très frappant dans le parcours de l’œuvre, c’est le souci de cohérence structurelle essentiellement liée à cette technique germanique de l’engendrement des éléments successifs, dérivés les uns des autres, et qui sont ainsi engagés dans une sorte de continuum formel. Et ce principe de la dérivation continue, des modes d’enchaînement déductifs qui irriguent la forme globale, est cher à Busoni, grand continuateur de l’histoire des formes et du langage musical. Depuis Bach jusqu’à Schönberg en passant par Beethoven et Brahms, ce mode de composition assimile les variations par paires, la 2nde tenant lieu de surenchère de la 1re par le renforcement de l’écriture et du dispositif pianistique. Ensuite, les variations fonctionnent par groupes restituant un découpage ternaire que le principe élémentaire de la répétition thématique, de la succession régulière et continue des variations ne pouvait pas a priori laisser soupçonner. Cette œuvre fait donc apparaître :
- Une première partie (Th., Var.I à XVII) de 17 variations en  min. dont l’enchaînement repose sur une dynamisation croissante entretenue par le principe des diminutions rythmiques. Elle est articulée autour de deux vastes épisodes dont chacun converge vers un point culminant (Var.IX et XVI). Les deux épisodes sont séparés par une variation (X) toute empreinte de douceur, sorte de respiration structurelle afin de permettre au processus dynamique du crescendo et d’amplification de l’écriture de se réamorcer avec plus de puissance.
- La deuxième partie (Var.XVII à XXVI) recouvre les 10 variations suivantes en  M qui sont dominées par le choral, selon le principe constant d’amplification graduelle. Cette gradation de l’enchaînement favorise le déplacement d’un registre à l’autre du profil mélodico-thématique.
- La troisième partie (Var.XXVI à XXXII) ne comporte que 6 variations. Il s’agit de la 3e phase d’un processus qui a consisté à concevoir la forme entière selon trois élans dynamiques et expressifs. La phase ultime du parcours dirige la démonstration pianistique vers une véritable apothéose du thème. Cette triomphale réexposition nous rappelle que les multiples tentatives de dépassement du thème étaient dans le fond toujours contenues en lui ; d’où cette puissance grandiose et rayonnante dégagée dans son expression finale. La polyphonie de registres, repérée dans les variations précédentes, réinvestit la position harmonique initiale dans laquelle la stricte verticalité du thème finit par tout envahir, refermant cette pièce sur une sorte de timbre global (tel l’orchestre) qui transcende la fonction purement thématique de l’idée musicale.
Tout d’abord, soulignons les divergences de parcours entre Bach et Busoni. Ce dernier apporte certaines modifications qui sont inhérentes au souci d’adaptation de l’original pour violon, instrument mélodique par essence, à une interprétation veillant à déployer des potentialités instrumentales dévolues au clavier (l’orgue en particulier) : ces changements affectent plus particulièrement les variations XXII à XVI.
Le déroulement de la Chaconne décrit ainsi une longue arche que les trois parties ponctuent et dessinent à la fois, et que renforce le retour strictement symétrique du thème dans son expression originelle : commencement et fin doivent coïncider avec une rigueur extrême pour mieux justifier le vagabondage formel et expressif de toutes ces variations successives, cumulatives. Il s’agit de l’application du fameux principe de l’éternel retour du thème, par lequel le mouvement cyclique de la forme se referme. Les variations sont donc enchaînées selon cette conception cyclique de la reconstruction, du grand retour de l’idée principale, et les effets d’accélération ou de décélération rythmique marquent avec une clarté recherchée les grandes phases de ce processus de symétrie. La tripartition de cette grande arche, formelle et tonale à la fois ( min., ré M, ré min.), met bien sûr en relief un archétype fondateur dont procèdent universellement toutes les formes savantes de la musique classique. Le devenir temporel du thème trouve sa réalisation à travers différentes parures extraordinairement diversifiées, une attitude éminemment moderne dans la mesure où le timbre acquiert une véritable fonction de structuration du discours musical. En outre, le choix d’une forme apparemment caduque permet de recourir à un thème-motif, un thème-matériau réduit, qui favorise la tendance beethovénienne du XIXe siècle à un développement musical conçu comme une longue gestation méditative. Ce développement s’effectue et progresse en paliers successifs que le procédé de diminutions des valeurs rythmiques met en évidence. Busoni, grand adepte de la tradition musicale de ce XIXe siècle, se réclame du culte romantique des contrastes qui mène le musicien à une véritable théâtralisation du thème. Les deux compositeurs ont voulu placer cette œuvre sous le signe d’une liberté absolue, quasi divine. Ainsi, afin de mieux transcender la servitude apparente de contraintes formelles élémentaires, les modalités d’écriture renouvellent la conception traditionnelle de l’ostinato. Et Busoni appartient à cette génération de compositeurs encouragés à revisiter des schémas formels éprouvés (ex. du mouvement néoclassique, pour les transformer en terrain d’expérimentation privilégié et les soumettre à une construction sonore qui dépasse le classique traitement du thème, une conception trop académique.
Pour une forme aussi fortement codifiée et relevant de la rigueur la plus extrême (régularité, répétition, conception quasi mécanique de la forme, itinéraire harmonique bloqué), Bach-Busoni y insufflent la vitalité romantique de l’errance, des vagabondages improbables et fantasques, l’excentricité éphémère des explosions cadentielles ou des détours modulants, la volonté souveraine d’une exploitation étourdissante et inépuisable des potentialités techniques et acoustiques de l’instrument. Une liberté envoûtante, puissamment revendiquée dans cette œuvre, se voit pourtant encadrée dans un moule intangible. C’est pourquoi dans son essai sur la musique baroque à propos de la variation et de la chaconne en particulier, S.Clercx déclarait :

Elle évolue du désordre à l’ordre. Forme qui s’envole, elle s’affirme au contact des formes qui pèsent et l’antithèse créée par ces intentions contradictoires accuse davantage le caractère instable et mouvant de son principe… La lutte entre les formes qui pèsent et les formes qui s’envolent est poussée à un degré extrême, affirme une structure et c’est elle, par son perpétuel recommencement, qui conduit à l’ordonnance. Dans ce domaine encore, le Baroque musical a trouvé son expression idéale, son ordre »[4]

Et d’autre part, s’agissant de la Chaconne pour violon, G.Cantagrel écrit :

Elle représente un idéal de mise en œuvre du principe baroque par excellence du multiple dérivant de l’unique, dans la confrontation permanente du fixe et du variable. Variabilité maximale, dans la multiplicité de figures sonores aussi diversifiées que possible, issues dans une basse obstinée stricte, de carrure, tonalité, schéma harmonique immuable. En ce sens elle est déjà une méditation spirituelle, la vision d’un monde dont toutes les manifestations dans leur diversité procèdent de Dieu, principe créateur de toutes choses. »[5]

4 – L’approche du timbre à travers les modes de jeux, les figures instrumentales, la dynamique

Nous pourrions en première évaluation nous étonner du choix de cette œuvre comme modèle significatif et exemplaire d’illustration concernant le thème qui nous préoccupe ici, à savoir « La conquête du timbre ». En effet lorsque nous évoquons la notion de timbre, nous pensons immédiatement aux couleurs riches et variées des instruments de l’orchestre. Et cela d’autant plus volontiers que le XXe siècle n’a pas cessé, depuis les recherches menées par l’École de Vienne, Stravinsky, Bartók, Debussy…, de réhabiliter un paramètre musical ayant été quelque peu négligé par les siècles antérieurs, à quelques exceptions près, bien entendu (ex. de Rameau, Berlioz…). Or cette œuvre convient parfaitement à la démonstration de ce que peut être un véritable exercice de style, destiné à l’exploration du timbre du piano, à une exploitation de toute l’étendue du spectre sonore disponible. Bach a frayé la voie dans ce sens, concevant une pièce violonistique comme moyen, entre autres, de valorisation des modes de jeux, des chatoyantes ressources sonores de l’instrument :

« L’interprète doit faire preuve des plus hautes qualités de virtuose, s’il vient à aborder la Chacone en ré mineur. C’est une page unique dans le répertoire du violon et l’une des plus célèbres manifestations du génie de Bach. [….] Faut-il insister sur les difficultés techniques que dissimule un tel ensemble, sur les qualités d’endurance et de musicalité qu’il suppose, sur la virilité qu’il exige, l’agilité des doigts qu’il entraîne ? Regardez ces sauts, ces intervalles qui embrassent parfois plus d’une octave et demie, ces arpèges étrangement étirés ; regardez ces diminutions de plus en plus serrées, ces doubles et triples croches qui doivent sonner en pizzicati ; suivez cette magnifique progression rythmique qui fait palpiter l’œuvre ; arrêtez-vous, par contre, à l’intense émotion dont vous inonde la tonalité majeure, voyez comment celle-ci se transforme bientôt en une éblouissante fanfare, revenez avec l’auteur aux tendres inflexions, aux hésitations et au frémissement des dernières variations, et vous percevrez au contact de la réalité, d’une part la connaissance que l’auteur avait du violon, de l’autre les connaissances qu’il exige de son interprète. Avec quatre cordes, comme avec trois mille tuyaux, Bach sait être grand : architecte et poète. La chacone dépasse le cadre de la Partita de style français. Ce n’est pas notre pays qui vient de lui apprendre à construire. C’est l’Italie. Vous vous en persuaderez à comparer ces variations violonistiques aux vingt variations de la Passacaille en ut mineur pour orgue. »[6]

« De la grave majesté du début aux triples croches qui se ruent en haut, en bas, comme de vrais démons, des tremblants arpèges qui restent suspendus, presque immobiles, comme des nuages au-dessus d’un ravin… à la religieuse beauté de la section en ré majeur où le soleil du soir se couche dans une paisible vallée, le génie du maître force l’instrument à d’incroyables accents. À la fin de la section en majeur, il sonne comme un orgue et parfois il semble que tout l’orchestre de violons est en train de jouer… Cette Ciaccona est un triomphe de l’esprit sur la matière tel que même Bach n’en a jamais remporté de plus brillant. »[7]

Et il n’y a pas de doute que Busoni, beaucoup plus tard dans sa transcription de l’œuvre, reprendra à son propre compte la quête du timbre amorcée par son illustre devancier. On peut aisément déceler de la part de Busoni, une volonté d’étendre son champ d’investigation en la matière, lorsque celui-ci s’autorise des écarts formels, des ajouts dans la transcription. Nous avons vu précédemment qu’il n’hésitait pas à réinventer un contenu musical, certes inspiré du style de Bach, mais qui lui semblait irrésistiblement nécessaire pour répondre et satisfaire à cette recherche inlassable poursuivie autour du timbre. La partition en la matière est tellement riche qu’il nous semble indispensable de répertorier les différents aspects influant sur le timbre et qui sont convoqués par Bach-Busoni. La concomitance de ces différentes caractéristiques assure de façon magistrale une approche à la fois didactique et visionnaire du timbre, de la part des deux musiciens. Afin de mieux apprécier le génie créatif et prodigieusement fécond de Busoni, il nous semble indispensable de rappeler les modes de jeu auxquels Bach fait appel pour élaborer une partition considérée comme « un monument, une sorte de charte constitutionnelle du violon transcendantal ».[8]

Chez Bach, ces principales techniques sont les suivantes : le legato soutenu (Var.III, IV, X), les coups d’archet en grand détaché (Var.II, III, V, XV), le legato et staccato léger combinés (Var.VIII, IX, le phrasé louré (Var.X) en détaché bref et léger (Var.VIII à XXI), le martelé puissant (XXI à XXIII), le spiccato, le staccato lié dans un même coup d’archet (Thème, Var.VII, XVI, XXIV à XXVI), le saltato obtenu par ricochet de l’archet sur la corde (Var.V, VIII), les coups d’archet réservés aux brisures, bariolages (Var.XI à XVI), la technique en doubles cordes et en bariolage, les batteries en doubles cordes sur des figures rotatives ou entrecroisées qui requièrent une très grande habileté technique (Var.XXVI, XXX), les sons simultanés en doubles ou triples cordes employés de manière harmonique ou polyphonique (Thème, Var.XVI, XXIV à XXVI), les accords arpégés sur 3 ou 4 cordes en staccato léger (Var.XI à XVI).

Chez Busoni :

Registrations, combinaisons rythmiques des strates. Types d’écriture Registrations, combinaisons rythmiques des strates. Types d’écriture Registrations, combinaisons rythmiques des strates. Types d’écriture Phrasé Modes de jeu Tempi Indications[9] de caractère et d’accentuation Nuances
Thème : homorythmie sur la cellule rythmique, noire, noire pointée croche.
Var I : généralisation du rythme pointé en diminution, dessin mélodique de l’harmonie maintenu en filigrane (I), puis dilué dans le réseau rythmique (II ).
Var  III : ligne chantante déclamée sur les accords empesés du thème (cellule rythmique initiale)
Var IV : harmonisation sur chaque ½ tps. Accumulation des appoggiatures harmoniques à tendance chromatique.
Var V à VII : élargissement de l’espace sonore par une écriture linéaire octaviée de l’harmonie. Harmonie verticalisée du thème transférée à la m.d. (VI). Diminution des valeurs en doubles croches continues.
Var VII : épaississement de la texture, parallélisme des 2 mains, doublures.
Module rythmique du thème pesamment souligné autour du balancement cadentiel. Broderie triplement octaviée sur le 3e tps.
Var VIII à X : traits-fusées doublées, gammes fulgurantes.
Var X : texture à 3 à partir d’accords arpégés de 7e dim. Effleurement d’intervalles de 2 en 2.
Var XI à XVII : point culminant de la virtuosité : technique des répliques imitatives des 2 mains, figures rotatives et déplacements alternés en rebonds irruptifs occupant un vaste espace pianistique, technique des arpèges contrariés, des basses octaviées imitant le pédalier de l’orgue, le tout en diminution rythmique de triples croches. Dissolution du thème dans les dessins pianistiques, malgré l’émergence de notes supérieures accentuées.
Var XVI : reconstitution du thème harmonique étalé sur un large espace aux 2 mains, recouvrant 3 registres.
Var XVII à XIX : écriture harmonique et polyphonique du choral, nouveau chant, mélodie de choral. Tonalité homonyme de M.
Var XIX à XXVI :
2nd pôle de virtuosité, dominé par les déplacements rapides des registres, des accords rebattus ou répétés, formules harmoniques brisées. Prédominance des plans sonores rappelant la répartition polyphonique de l’orgue, distribution en trio de ces couches sonores contrastées.
Var XXVI à XXXII :
3e et dernier pôle de virtuosité parcourant un immense crescendo que nourrit la démultiplication des valeurs rythmiques : doubles croches, triolets de doubles, triples croches.
XXXII : effets de puissance
Ces variations concentrent les particularités d’écriture précédentes : écriture linéaire de mouvements mélodiques sobrement ponctués par des repères harmoniques réduits à l’essentiel.
Cette ponctuation épouse la rythmique pointée et ternaire du thème (XXVI à XXVIII), le parallélisme des 2 mains et les staccati octaviés, le dispositif des 2 mains confrontées à un mvt en éventail, les arpèges se propageant en cascade sur des mouvements simultanés régulièrement et (XXX).
L’écriture arpégée des accords ou déployés en figures et/ou arpégés dans le style des instruments à cordes pincées. Et l’élan fulgurant de gammes propulsées aux 2 mains (mes.263) nous rappelle la nature profondément harmonique du thème se déclinant soit en figures conjointes, soit en dessins issus de l’arpège, soit dans leur configuration originelle, à savoir le thème d’accords strictement verticalisés :
Var XXXII, les accords investissent tout l’espace des 2 mains. Le thème s’élargit puissamment sur l’ensemble des registres (3 registres étagés), multipliant les doublures harmoniques pour mieux souligner l’ampleur, la somptuosité des résonances.
Modes de jeu et Phrasé
Jeu appuyé, accents soutenus (Th., XII, à XV, XVII, XVIII)
Jeu soutenu avec point allongé (VIII)
Attaque accentuée des notes et intensité prolongée (I, XVI, XXIII)
Jeu détaché et crépitant en staccato (IV, XXII, XV, XX), staccatissimo (VIII)
Jeu marcato, marcatissimo (V à VIII)
Jeu rubato mesuré (VIII à X)
Jeu martellato (XXV)
Jeu legato (III)
Jeu legato louré (X)
Jeu non legato (XXIV)
Jeu una corda (XXVII)

Tempi
Des tempi très variables au cours desquels le rubato romantique trouve pleinement sa place.
Andante maestoso, ma non troppo lento, assai, animando il tempo, poco a poco allargando in tempo, tempo animato, allegro moderato ma deciso, le seguenti 16 battute poco a poco più cresc. Ed animando il tempo, a tempo misurato, più vivo, largamente maestoso…
De vastes crescendi menés sur de longues périodes :
Var VI à X, XIII à XVII, XXIX à XXXII.
Outre les indications traditionnelles telles que Poco expressivo, molto dolce, dolce tranquillo, sostenuto, con fuoco animato…, la partition est pourvue de notations précisant davantage des nuances expressives plus marquées :
Sempre molto energico, sempre assai marcato, molto expressivo e legato, più mosso, ma misurato, con bravura, dolente, un poco a piacere, ma sempre energico il ritmo, tranquillo, non affrettare !, articolato poco marcato e tenuto, allargando, distintamente,largamente, languido, flebile …

Nuances

Une palette abondante, précise, constamment nuancée, diversifiée et contrastée 
f, f molto energico, Più f, p subito, pp, sempre pp, p molto dolce,
p tranquillo, p flebile, fz, ffz,
f marcatissimo, ff più allargando, ff molto tenuto, f più largamente…


Ce tableau met donc en lumière l’extraordinaire foisonnement des notations liées à cette recherche constante de diversité du timbre. Il témoigne de l’emprise exercée par Busoni sur une partition préexistante, pour transcender ou explorer, de la manière la plus radicale qui soit, la capacité de renouvellement sonore du piano. En comparant l’approche instrumentale des deux musiciens, on se rend compte que Busoni prolonge les idées de Bach, mais en les enrichissant par de téméraires inventions qui à la fois trahissent sa culture romantique de l’instrument et sa pensée visionnaire tournée vers la modernité du XXe siècle. Cette œuvre nous propose une véritable grammaire de l’exécution instrumentale, mise en timbre de la partition. Les impératifs d’exécution sont tellement foisonnants et d’une telle amplitude, qu’ils semblent désigner le timbre comme vecteur substitutif de la forme susceptible d’orienter, d’infléchir le processus formel de l’œuvre. La cohérence de la forme est fondée sur ce réseau tissé autour des multiples moyens d’exécution : un constant renouvellement de la qualité du timbre sollicitant les alliages quasi instrumentaux des couleurs sonores, des séquences musicales contrastées sollicitant tout un arsenal de nuances, rythmes, tempi, attaques…
- l’organisation des fluctuations agogiques (tempo giusto, accelerando, ritardando, rubato…),
- l’articulation en recourant à l’ensemble des symboles qui la recouvre (spiccato, staccato, legato, portamento…) situés entre le détaché le plus extrême (marcatissimo) et le legato le plus soutenu,
- l’accentuation variant à l’infini les modes d’attaque et d’extinction du son : incisive, sans sécheresse, soutenue…
les variations dynamiques qui font appel à une échelle des nuances la plus étendue qui soit (entre fff et ppp) et qui peuvent être progressives ou brutales, régir la forme (le crescendo, le diminuendo),
- des indications expressives, de caractère, complémentaires et abondantes qui justifient l’organisation accentuelle, dynamique et agogique du parcours musical, mais qui apportent aussi une résonance particulière des sonorités.
Du point de vue de l’écriture, l’apport de Busoni s’exerce sur le principe de dilatation ou de rétraction de la densité polyphonique, d’une part, et celui du contrepoint de timbres qui prolonge le grand style lisztien, d’autre part : spatialisation, déploiement des trames pour occuper un ambitus maximal distribué sur quatre ou cinq octaves, thème déclamé, en valeurs plus larges, qui apparaît en filigrane dans la texture, qui surplombe une polyphonie à plusieurs plans, qui s’octavie ou bien s’épaissit en accords. Busoni, continuateur de la gageure pianistique romantique, conçoit sa transcription de l’œuvre de Bach dans une variété éblouissante soumise à un pianisme houleux inlassablement réaménagé : changements de plan, jeu en tutti et en accords nourris, plénitude sonore de l’homophonie, déclamation octaviée en chaînes de 3ces, étagements de la résonance pour restituer une acoustique réverbérante du piano, grandes attaques vibrantes, sursauts vertigineux, robustes scansions opposées à une articulation délicate, textures tantôt aérées, tantôt saturées par l’écriture, traits agiles ou déferlants, saillies mélodiques et jeux de masse étalés dans l’espace harmonique, cursives arabesques des lignes ou sons coalisés, fixité contemplative ou énergie tourbillonnaire, lenteur processionnelle ou cinétique étourdissante de l’écriture. L’énergie cumulative convoquée dans cette œuvre se greffe sur une amplitude extrême de toutes les ressources techniques qui témoignent de la puissance quasi illimitée de l’imagination. Si bien que nous avons le sentiment, à l’écoute de cette transcription, que Busoni cherche à prendre, dans une certaine mesure, le contre-pied de son illustre devancier en se détournant du caractère profondément violonistique de l’œuvre pour mieux l’adapter à une interprétation organistique, voire symphonique telle que l’écriture de Bach nous le suggère tout de même. C’est en ce sens que nous pouvons dire que Busoni renoue avec les vastes architectures, l’expression grandiloquente de l’époque baroque, mais aussi qu’il parvient à transcender cet aspect purement historique d’une musique exposée à d’autres tendances plus modernes.
La dynamique baroque était jadis réduite à l’opposition élémentaire piano/forte issue de l’écriture concertante tutti/soli. Bach plus implicitement, et surtout Busoni, conçoivent une dynamique qui va sculpter la forme, osciller entre des nuances assourdies et l’affirmation péremptoire, victorieuse du thème, déclamé in fine en une explosion paroxystique de triple forte.
L’approche du timbre repose sur une véritable osmose entre une polyphonie pianistique et un langage symphonique de la densité, avec une tendance très marquée d’inspiration romantique à la démultiplication des plans polyphoniques où l’on peut distinguer le plan des fondamentales graves, celui des accords médians et celui d’un chant supérieur d’une grande ampleur. Ce faisant, nous assistons à une véritable instrumentalisation du thème pouvant être déplacé dans les différents registres. Et les timbres suggérés rejoignent la tradition de la transcription ou de la paraphrase lisztienne destinée à concurrencer l’orchestre d’ardeurs symphoniques, ou encore de la registration étagée des sons, tels aussi les jeux de l’orgue. La distribution extrêmement variée, le foisonnement des notations, la multiplicité des choix d’écriture font apparaître le thème à travers tantôt des tutti simulés, tantôt une écriture allégée suggérant la déclamation linéaire d’un quasi cello, ou encore pour restituer aussi fidèlement que possible des couleurs empruntées tantôt à l’archet, aux bois, aux cuivres, à la harpe...

[10]
Ferruccio Busoni pianiste

5 – l’œuvre et son ancrage : avec d’autres œuvres de Bach, ses prolongements avec d’autres compositeurs

À l’époque classique, cette forme spécifique connaîtra une éclipse presque totale, supplantée par la forme variation sur un thème mélodique. Il faudra attendre les 32 Variations pour piano ou le finale de la Symphonie héroïque de Beethoven, puis celui de la 4e Symphonie de Brahms :




…ou encore le 2nd Choral de C.Franck, pour que le genre, à travers ces quelques rares spécimens, retrouve un nouveau souffle et témoigne en plein romantisme de l’allégeance des compositeurs allemands à J.S.Bach. Mais c’est vraiment à partir de la 1re moitié du XXe siècle que nous découvrons des interprétations particulièrement innovantes d’un genre apparemment suranné. Des compositeurs d’origines très diverses vont ainsi contribuer à enrichir ce vaste répertoire des passacailles et chaconnes, illustratif de la musique dite ancienne de l’époque baroque. En effet, ce grand genre du passé suscite l’intérêt d’une génération de musiciens entraînés par le mouvement néoclassique qui va submerger toute l’Europe musicale de la période moderne de l’entre-deux-guerres. Et pour des compositeurs tiraillés entre l’exigence impérieuse de nouveauté et un respect nostalgique pour cette musique ancienne, le genre exerce alors une réelle fascination. Car il recèle, dans son principe, une certaine capacité à cristalliser les forces novatrices, le besoin d’expérimentation créatrice, tout en réanimant les structures inconscientes ou acquises d’une longue tradition musicale. Ainsi en est-il, des œuvres et compositeurs aussi contrastés que la Passacaille du Trio de M.Ravel (1914), de la Chacone, 1er mvt de la Sonate pour violon seul de B.Bartók (1944), des Passacailles op.1 pour orchestre de A.Webern (1908), de celle extraite du Pierrot lunaire (1912) de A.Schönberg et intitulée « Nacht », ou bien encore celle de la 4e scène de l’acte I dans l’opéra Wozzeck (1925) de A.Berg. D’autres suivront, témoignant des grandes ressources inventives que cette forme permet, et de la fidélité quasi indéfectible de certains musiciens à leur héritage musical. C’est ainsi que bon nombre de compositeurs, aussi modernes qu’ils le revendiquent, inscrivent dans leurs œuvres un rapport de sujétion à l’égard des grands maîtres du passé, justifié par le retour à ces formes classiques et hautement contraignantes : ex. de A.Roussel, A.Honegger ou H.Dutilleux avec sa fameuse Passacaille de la Symphonie n°1 (1951) pour ne citer que des compositeurs français parmi tant d’autres, mais aussi F.Martin avec sa Passacaille pour orgue, ou encore Hindemith avec des œuvres comme Marienleben ou Nobilissima Visione. Ce qui frappe toujours, lorsque nous nous penchons sur ces œuvres redevables à notre grand passé classique musical, c’est le souci d’originalité et de radical renouvellement que la modernité chronologique impose à ces modèles d’une forme consacrée. Ainsi par exemple en s’appuyant sur cette forme ancienne, les trois représentants dominants de l’École de Vienne vont pouvoir amorcer les règles de la technique dodécaphonique (ex. des Passacailles de Schönberg et Berg). En se justifiant d’une démarche contrapuntique très élaborée, ils conçoivent le redéploiement d’une telle contrainte formelle dans l’invention de figures sonores variées, de motifs divers obsessionnellement rattachés à un principe générateur commun. Dans une rigoureuse unité (répétition inlassable du motif), déduire d’un matériau réduit au maximum (schéma de 8 mesures d’une basse) toute la profusion des figures thématiques (ex. des partitions de Berg et Webern), tel est le credo affirmé et réaffirmé par les trois compositeurs. Dans le sillage de Brahms, compositeur véritablement obsédé par une technique de la variation déductive des motifs (ex. de son finale de la 4e Symphonie), Webern poursuivra l’exploration de ce principe de la variation perpétuelle, encouragé par les fondements théoriques des trois Viennois. Et dans la mesure où les grands enjeux de la composition reposent essentiellement sur une conception intégrale de la variation aux plus lointaines conséquences, la Passacaille op.1 de Webern répond déjà à ces nouveaux critères d’engendrement de la forme musicale. Le paradoxe que nous évoquions plus haut trouve donc très tôt sa pertinente résolution grâce à cette manière d’envisager l’extrême diversité des figures instrumentales dans une condensation thématique tout aussi manifeste et rigoureuse. Car cette exigence ascétique de dépouillement et de réduction du matériau justifie l’organisation économe du thème en  mineur. Sa grande concision se caractérise par l’emploi de huit sons distincts (principe sériel de la non-répétition) et réparti en trois segments déduits les uns des autres (renversement et récurrence) :

Le modèle proposé par Berg dans son opéra Wozzeck, délivre toutes les potentialités dramatiques que ce principe formel recèle. La scène concernée met en confrontation deux personnages qui ne peuvent pas communiquer, prisonniers qu’ils sont de leurs obsessions propres : l’effroi et la détresse de Wozzeck se traduisant par des visions terrifiantes, les idées fixes, délirantes et pathologiques d’un Docteur grotesque, obsédé par l’immortalité. Et c’est ainsi que la forme choisie, Passacaille, est particulièrement adaptée à cette situation névrotique. L’angoisse qui hante cette scène est renforcée par cet ostinato articulé autour de l’inquiétant triton de 4te aug.-5te dim. :

D’autre part, Berg soumet ce motif à un traitement peu conventionnel, dans la mesure où, très vite, celui-ci tend à disparaître dans le réseau instrumental de l’orchestre. Toutefois, cette apparente disparition agit de manière insidieuse, telles les tensions enfouies au plus profond de l’inconscient qui ne demandent qu’à resurgir. Et lorsque nous savons combien cette forme ancienne, à nouveau convoquée, est engagée ici dans une approche expérimentale de la méthode dodécaphonique d’une part, et d’autre part dans une approche symbolique des nombres, nous mesurons l’extraordinaire gageure que représente cette réalisation : un désordre tragique saisissable dans la musique, mais enserré dans une élaboration et un ordonnancement implacables de l’architecture.
C’est en tant que genre musical, que Ravel retient, des caractéristiques dominantes de la passacaille, la rigueur contraignante de son déroulement et la sévérité solennelle de son expression :

Le ton d’austérité inhérent à celle-ci, détermine la partition à un parcours conçu comme une arche. Les trois phases essentielles de ce mouvement en arche, conduit les trois instruments à poursuivre le thème tour à tour du grave vers l’aigu (un peu à la manière d’une exposition de fugato), et dont la culmination marque une courbe dynamique inverse du 2nd versant. Cet exercice de style que représente la Passacaille du Trio de Ravel, est une véritable signature de son auteur. Il s’agit d’un énième hommage à la musique ancienne pour laquelle Ravel manifeste une fidèle révérence (Le Tombeau de Couperin), mais aussi une reconnaissance jamais démentie dans l’ensemble de son œuvre pour les glorieux critères de la musique classique. Et c’est bien ce classicisme qui marque de son empreinte indélébile un style harmonique et mélodique extrêmement personnel. Quant à Bartók, la spécificité de son langage trouve également son accomplissement dans sa remarquable Chacone pour violon seul qui représente un vrai défi lancé, par-delà les siècles, à l’œuvre de Bach. En multipliant à l’infini sur la partition les indications des modes du jeu instrumental, Bartók souligne son appartenance à une période délibérément moderniste. Les compositeurs assignent à l’interprète cette tâche si particulière au XXe siècle, qui consiste à privilégier le timbre, véritable enjeu du discours musical moderne pour plusieurs générations de compositeurs. Et Dutilleux avec sa Passacaille symphonique ne déroge pas à cette règle nouvelle qui tend à élever le timbre au rang de paramètre fondateur dans la composition contemporaine. Par ailleurs, avec le thème de sa 1re Symphonie, Dutilleux annonce l’irrésistible motif des Métaboles composées quelques années plus tard, dans son expression profondément incantatoire. En effet, les propriétés attractives des notes à l’intérieur de son motif (un motif qui doit être fondé sur l’insistance très personnelle de sons pivots), constituent la marque emblématique du style de son auteur :


Homme de grande culture, Dutilleux a sans doute été inspiré par des techniques antérieures exemplaires, telles que celle impliquée dans la Symphonie en m. de C.Franck (le principe cyclique de la cellule génératrice), ou encore celle opérée par une attraction lancinante du motif au cours de la 2nde partie dans la 8e Symphonie de G.Mahler, ou bien celle que Berg privilégie d’une façon lumineuse dans le 3e acte de Wozzeck (l’obsession de la note si à partir de laquelle tout se déduit). Or, dans tous ces cas de figures, nous voyons des compositeurs véritablement conquis par une conception de la composition qui repose sur la très forte attractivité du matériau thématique. Réduit de la manière la plus extrême (un ostinato gravitant autour d’un intervalle fondamental, la tierce), ce matériau fait inlassablement jaillir des virtualités musicales insoupçonnées, à partir de toutes les ressources de la variation. Car cette application constante de la variation sur laquelle s’exerce tout le génie de Dutilleux, reflète son goût pour l’incessante métamorphose, pour une véritable recomposition de ses idées thématiques (désagrégation ou reconstruction du motif). Et c’est ainsi que le pouvoir magique de fascination, sur lequel tout le monde s’entend à propos de ce musicien, se réalise dans une dialectique entre la prolifération des figures, des combinaisons sonores, le foisonnement chatoyant des couleurs orchestrales et une très grande rigueur, une maîtrise absolue de la forme.
Enfin, l’ironie dont se réclame Ligeti dans la Passacaglia ungherese et Hungarion rock pour clavecin entremêle la rythmique folklorique hongroise, des tournures musicales à la Beatles (jazz et rock), et le caractère rétro de l’ostinato (fonctions élémentaires de la tonalité, états fondamentaux ou renversés, d’accords parfaits majeurs, 5tes ou 7es) C’est de ce mélange détonant que résulte la grande originalité de la pièce :

Thème de la Passacaglia ungherese et Hungarion rock pour clavecin de Ligeti

Nous voyons donc que les compositeurs les plus résolument novateurs se réclament inlassablement de la tradition classique. Dans une réalisation synthétique du travail formel, chaque compositeur éclaire par son langage particulier, par son habileté toujours unique et pertinente, par son approche visionnaire de l’écriture et du timbre, une forme apparemment épuisée comme semblait l’être la passacaille-chaconne. En transfigurant les règles intangibles de cette forme, ils offrent aux auditeurs la preuve éclatante des multiples mutations que l’on peut extraire d’un principe simple et élémentaire de construction musicale.

6 - Conclusion : atemporalité et modernité visionnaire de cette œuvre

Cette remarquable chaconne de Bach-Busoni révèle toute l’ampleur, la luxuriance, d’une féconde réalisation, avons-nous dit. Elle résulte de cette heureuse conjonction entre deux personnalités musicales fortement marquées par l’irrésistible et synthétique emprise de la tradition d’une part, et de la modernité d’autre part. Au cours d’une si longue et fructueuse évolution de notre histoire musicale, les compositeurs ont toujours voulu se situer dans la continuité de l’héritage immédiat ou plus lointain. C’est à travers leurs œuvres qu’ils s’efforcent de recueillir les précieux enseignements de ce vénérable héritage. L’œuvre qui nous préoccupe ici constitue une merveilleuse démonstration de cette constante historique, dans la mesure où elle contient d’une manière extraordinairement condensée toutes les ressources d’une écriture parvenue à maturité. Car le degré de sophistication et de perfection du langage musical permettra au système établi de poursuivre une glorieuse carrière (le langage tonal, modal et harmonique maintenu jusqu’au milieu du XXe siècle). Mais, en même temps, cette conception traditionnelle de la musique ouvre la voie à d’infinies possibilités. Chacun des compositeurs qui nous préoccupent ici, participe à cette dynamique de la re-découverte de ces ressources antérieures. Situé à la croisée des chemins, le compositeur incarne une possibilité conjoncturelle, exceptionnelle, improbable, imprévisible. Mais il poursuit toujours cette règle occidentale, cette finalité historique incontournable qui consiste à se réapproprier les acquis musicaux pour mieux les transcender et ainsi projeter l’œuvre dans un avenir tout aussi riche de promesses nouvelles. Comme ses confrères cités entre autres dans le cadre de cette étude, A.Honegger partage cette même obsession de la concentration formelle et des techniques de structuration et d’écriture dans lesquelles l’ostinato occupe une place particulièrement importante (ex. du Lamento de La Danse des morts, le De profundis d’Une Cantate de Noël, le 3e mvt de la Symphonie pour cordes, ou encore le terrifiant martèlement rythmique des 1res mesures dans le 3e mvt de la Symphonie n°5 « Di Tre Re »…). Et ce n’est pas un hasard si lui-même n’a pas cessé de manifester cette double postulation esthétique : fixer la composition musicale sur le socle de la tradition, tout en affranchissant l’impatiente originalité de son auteur de tout ce qui pourrait contribuer à l’inhiber.
C’est cette symbiose conceptuelle et artistique qui inspire les courageuses déclarations illustrées dans son œuvre et exprimées par un compositeur, polémiste clairvoyant à ses heures. Ces pétitions de principe pourraient aisément convenir aux musiciens concernés ici, Bach-Busoni, et être appropriées aux différentes composantes esthétiques de la Chaconne :

« Il me paraît indispensable, pour aller de l’avant, d’être solidement rattaché à ce qui nous précède. Il ne faut pas rompre le lien de la tradition musicale. Une branche séparée du tronc meurt vite. Il faut être le nouveau joueur du même jeu, parce que changer les règles, c’est détruire le jeu et le ramener au point de départ. L’économie des moyens me semble plus difficile mais aussi plus utile que l’audace trop volontaire. Il est inutile de défoncer des portes qu’on peut ouvrir. ».

Et plus loin :

« De par la manière dont ils sont présentés, [les éléments musicaux réinvestis dans l’œuvre du créateur] deviennent la substance de son originalité, le signe de son talent… ». Car « il existe, me semble-t-il, deux catégories de compositeurs. Ceux qui ont eu l’audace d’apporter des pierres nouvelles à l’édifice. Ceux qui les ont taillées, mises en place et en ont bâti des chaumières ou des cathédrales. Pour les premiers, la tâche est terminée [...].Pour les autres la recherche peut se poursuivre, dans la mesure où l’on a quelque chose à dire. […] car il y toujours un usage original [des techniques] anciennes et récentes. » [11]

Et c’est précisément parce que ce point de vue esthétique nous semble correspondre à l’ensemble des approches menées autour de la chaconne / Bach-Busoni, que nous pouvons être convaincus de toute la pertinence que dévoilent de telles déclarations sur l’art, sur la musique en particulier. Cette magnifique osmose entre deux compositeurs chronologiquement éloignés nous montre à quel point paradoxal chacun peut parvenir à un degré souverain de liberté créatrice. Comme l’exprimait naguère Leibowitz [12], cette forme, aussi rigide soit-elle dans son expression et son mode de fonctionnement interne (la fixité formelle que génère l’ostinato), est en définitive « une possibilité d’architecture », un cadre souple, abstrait, permettant les écarts et les recherches les plus fécondes. C’est de ce cadre malléable qu’émergent les recherches multiples de timbre, et que révèle l’ambition instrumentale des deux compositeurs. Elles résultent d’une admirable contribution, aussi complémentaire que nécessaire, de deux musiciens ayant accompli une flamboyante performance. L’approche de Busoni nous apparaît comme une sorte de précipité, de creuset chatoyant des apports les plus prestigieux de l’histoire de la musique qui finit, au XXe siècle, par converger vers une pensée créatrice quasi unique ou, à tout le moins, obsédante : le timbre devenant le paramètre essentiel de la composition musicale. L’accueil d’habitudes symphoniques dans l’univers réservé et solitaire du piano conduit Busoni à repenser l’œuvre de Bach dans cette approche prospective des valeurs sonorielles. L’ascendance lisztienne exercée sur notre compositeur conduit à les promouvoir, chez Debussy par exemple, en composantes essentielles de la musique pour piano.

7 - Quelques suggestions pédagogiques

      a)    Autour de l’écoute, exercices de comparaison

L’approche comparative des œuvres implique deux termes complémentaires à soutenir, pour mener à bien cette démarche : les affinités et les ressemblances, d’une part, les différences et les particularités spécifiques pour chacune des œuvres proposées au candidat, d’autre part, s’inscrivant dans le cadre de la thématique. Concernant le premier terme, il nous semble naturel, à cette occasion, de mentionner les aspects intangibles et stéréotypés d’une forme qui traverse les siècles et qui résiste au temps pour réinvestir de manière fidèle ces contraintes, quel que soit le compositeur qui s’en empare et par delà les changements de style. Comme nous l’avons appréhendé plus haut, il nous semble particulièrement intéressant que cette œuvre au programme du baccalauréat puisse offrir aux candidats l’occasion de saisir des aspects musicaux fortement individualisés pour chacun des exemples choisis (d’autres œuvres étudiées au cours de l’année). Ceux-ci doivent leur permettre de saisir la très forte originalité de chaque musicien concerné, ainsi que nous l’avons esquissé dans le paragraphe relatif à l’élargissement de l’œuvre modèle à d’autres. À partir d’un schéma aussi élémentaire et communément partagé, l’analyse auditive doit donner l’occasion aux candidats de dégager avec une conscience accrue les différences, 2nd terme de la comparaison. La démarche purement descriptive des œuvres proposées dans cette confrontation avec l’œuvre centrale, pourrait ensuite atteindre un objectif de culture plus générale qui consiste à mettre en relief des caractéristiques musicales décelées dans la partition et qui permettent de replacer l’œuvre dans son contexte historique. Bien que l’activité de comparaison soit privilégiée dans le cadre de l’option facultative, nous ne devons pas perdre de vue que les candidats à l’option de spécialité doivent être soumis à une question plus générale du commentaire écrit et même oral, au cours de laquelle ils sont amenés à citer d’autres œuvres. Dans leur argumentation, ils pourraient s’appuyer sur des œuvres satellites abordées dans le cadre du cours, qui envisageraient à la fois les recherches de timbre et celles exercées sur le renouvellement d’une forme commune (les différentes modalités d’écriture). Mais il va de soi que l’association de cette œuvre, emblématique du thème « La conquête du timbre », ne doit pas nécessairement se limiter au répertoire des passacailles et chaconnes, mais pouvoir annexer le vaste champ des musiques relevant de cette moderne préoccupation du timbre chez les compositeurs les plus novateurs en la matière.

      b)    Autour de la créativité, exercices de réalisation

Un travail fructueux nous semble suscité par l’œuvre de référence, dans la mesure où un tel choix oriente les exercices de créativité vers une approche de la variation. Et les applications pédagogiques autour de la variation recouvrent une pratique privilégiée, véritable terrain d’élection pour ce type d’activité. C’est pourquoi il nous apparaît très utile d’offrir aux élèves des thèmes standard de passacaille ou chaconne les plus simples qui soient, afin que leurs recherches puissent se réaliser dans des conditions optimales, les mieux adaptées à leurs capacités techniques souvent très hétérogènes. Aussi proposons-nous, à titre d’exemple, le travail suivant exercé sur une pièce qui est à la portée de pianistes très modestes. Elle ferait ensuite l’objet d’une adaptation instrumentale concernant l’ensemble des élèves qui s’évertueraient eux-mêmes à rechercher les possibilités des timbres à choisir, à attribuer. Voici le thème de basse que nous pouvons leur soumettre:

Thème de la Passacaille graduée de W.Karveno [13]
À ce stade, nous pouvons peut-être leur demander de rechercher puis de jouer les accords correspondants, dont la correction serait :

Même démarche pour broder les notes supérieures comme suit :

Ou bien en leur proposant la formule appliquée dans la 1re mesure qu’ils poursuivront :

Ou encore :

Soit également cette autre possibilité :
ou encore les suivantes :




Ce qui est bien sûr intéressant dans ces diverses approches et réalisations créatives autour de la variation, c’est que les élèves doivent parvenir, d’une manière encore plus objective, à saisir un principe simple et idéal de diversification de l’écriture et d’une interprétation musicale infiniment variée qui résulte d’une idée très élémentaire. Le second intérêt repose sur une intériorisation plus effective du principe de progression, de gradation qui s’opère d’une variation à l’autre dans le développement de la forme ; cela leur permettant, nous semble-t-il, d’appréhender la trajectoire logique et continue du développement musical, et que souligne la fonction de chacune des variations au sein de la forme.

      c)    Autour de l’écoute et de la créativité, exercices de comparaison

Cette dernière remarque nous autorise à poursuivre l’exercice à d’autres modèles simples. Ainsi par exemple :

Thème de la Passacaille en sol min. de Haendel


Variation I



Variation II



Variation III



Variation IV



Variation VIII



In fine, les pratiques créatives étroitement associées à l’écoute devraient encourager un ultime approfondissement de la comparaison avec l’œuvre de Busoni. Ces exemples, inscrits dans une pratique, justifient rétroactivement les conclusions de l’analyse autour de la construction, de l’élaboration progressive de la forme adoptée par Bach-Busoni, et du point de vue de ses modalités d’écriture. Ainsi la compréhension de l’œuvre se trouve-t-elle confortée par une triple reconnaissance des moyens (définie plus haut) par lesquels des musiciens conçoivent leurs choix d’écriture, ceux-ci étant placés dans une perspective plus large de la forme. Toutes ces approches doivent donc converger vers une sorte de réconciliation entre une délectation instantanée de l’écoute et une perception plus visionnaire de la durée musicale.

[1] Se reporter à l’excellent et très précieux article « Des formes à variations à l’époque baroque » de Sabine Bérard, dans les n°490 et 491 de mars et avril 2002 de la revue L’Éducation musicale.

[2] http://www.classical.net/music/comp.lst/busoni.html

[3] http://www.classicalarchives.com/bach.html

[4] S.Clercx, Le Baroque et la musique, Essai d’esthétique musicale, Bruxelles, Librairie Encyclopédique, 1948, p.196.

[5]G.Cantagrel, Le moulin et la rivière, Air et variations sur Bach, Fayard, 1998, p.233.

[6] N.Dufourcq, Jean-Sébastien Bach, génie allemand ? génie latin ?,.La Colombe, 1947, p.142-143.

[7] Ph.Spitta, J.S.Bach, Leipzig, 1930, p.183.
K.Geiringer, Jean-Sébastien Bach, Seuil, 1970, p.

[8] A.Basso, Jean-Sébastien Bach, Fayard, Paris, 1993, tome I, p.645.
[9] À remarquer que les notations indiquées par Busoni sont exprimées en langue italienne et allemande. Ceci met en évidence la double appartenance culturelle du compositeur que nous évoquions plus haut.

[10] http://www.classical.net/music/comp.lst/busoni.html

[11] A.Honegger, Je suis compositeur, Éditions du Conquistador, Paris, 1951, p.92 à 96.
[12] R.Leibowitz, Schoenberg et son école, J.B.Janin, coll. de la Flûte de pan, Paris, 1947, p.193

[13] Wally Karveno, Passacaille graduée, Combre, Paris, 1964.