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DVD événement: Ferrucio Busoni, Doktor Faust. Thomas Hampson
Philippe Jordan/Klaus Michael Grüber (2 dvd Arthaus Musik)
par Lee Yu Wang lundi 26 novembre 2007
 
Opéra de Zurich, octobre 2006. Thomas Hampson, esthète dégoûté sur la scène du monde défie le diable, séduit la duchesse de Parme, ose envisager l'éternité... profil de savant fou, à la fois Dracula sans âge et Don Quichotte halluciné, le baryton américain relève le défi d'une partition captivante et énigmatique que laissa inachevée Ferrucio Busoni.  Dans la fosse, Philippe Jordan créé la surprise. En dirigeant la version complétée par Jarnach en 1925, sa direction architecturée et millimétrée reste fluide, rehaussée par l'expressionnisme suggestif de la mise en scène de Kluas Michael Grüber. Production événement!

Retour aux sources zürichoises
C'est comme un retour aux sources: Busoni a composé son Doktor Faust à Zürich, quand, italien par son père, allemand par sa mère, il n'avait plus de patrie désirant l'accueillir pendant la première guerre mondiale (les deux nations étaient opposées). Il préféra donc s'exiler en... Suisse. Voici donc une partition qui était désignée pour la scène de l'opéra zürichois. Retour aussi dans un foyer connu du jeune chef Philippe Jordan lequel a été apprenti musicien au Conservatoire de Zürich, et membre de la chorale Zürcher Sängerknaben... Le document vidéo tout en permettant au maestro de se confronter à une partition qui n'est pas des plus faciles (le nouveau langage contrapuntique et harmonique de Busoni, ses dispositifs physiques et expérimentaux nécessitant un choeur dans les coulisses sont un casse-tête pour tout directeur musical!) , dévoile sa jeune maestrià dans une production enregistrée en 2006. Rappelons que Philippe Jordan a été nommé chef musical principal de l'Opéra de Paris, à la demande du successeur de Gérard Mortier, Nicolas Joel qui prendra la direction des deux scènes parisiennes, en septembre 2009.

Opéra mystique et philosophique
"Donne moi le génie et ses souffrances... je veux être un homme libre", déclare Faust à Mephistofélès. Tout tient à ces quelques paroles énoncées dans le deuxième tableau, quand la créature de Lucifer paraît au vieillard décrépi, vieil animal dégoûté de la vie et surtout... des hommes. Busoni, âme intrépide, défricheur des formes invisibles, à la fois mystique et d'une forte exigence spirituelle, hésita longuement avant de mettre en musique, sa propre version du mythe de Faust. Leonardo da Vinci, Don Juan, Merlin furent ses premiers sujets désirés... il s'agissait dès le départ d'exprimer les fruits d'une vie faite d'interrogations et de réflexions souvent inquiète sur la condition humaine. Dans sa quête philosophique, qui inspire à l'homme sa vie et sa carrière de pianiste (virtuose) et de compositeur, Busoni  pose la question fondamentale: la connaissance ou le pouvoir, comme la satisfaction de tous les désirs, permettent-ils d'atteindre la vérité finale de toute chose? Qui est le maître, de l'homme ou de son destin? Le savoir et la connaissance n'altèrent-il pas  en définitive toute liberté en effaçant l'état d'insouciance? Busoni/Faust nous délivre sa propre expérience, au cours des tableaux assemblées ici, héritage d'une écriture qui n'a pu être menée à son plein achèvement, Busoni étant mort avant de mettre en ordre ses esquisses pourtant avancées. Le témoignage est vibrant, tendu, inscrit plus en forme d'interrogation que de réponse. C'est une scène ouverte et un théâtre qui n'a pas résolu la question de sa forme fixe.
En suivant les lignes de force développées par Goethe, Busoni s'en détourne aussi, en écrivant son propre livret, d'après une pièce populaire pour marionnettes édité par Karl Simrock. Il lui fallut ainsi seulement 6 jours (de "fièvre") à Berlin pour accoucher de son texte (1920). Il vivait alors dans la ville allemande où il dirigeait une classe de composition.

Scène de l'irréel
En proie aux visions de l'autre monde, Busoni privilégie le fantastique, le surnaturel, l'irréel. Ainsi par magie, et après avoir signé le pacte qui le lie à Méphistofélès, Faust se transporte dans un autre monde, celui de son imaginaire dans lequel ses fautes et ses péchés sont effacés comme par enchantement et non sans un certain cynisme. Le prix en sera d'autant plus lourd à payer en fin de traversée. Faust commandite le meurtre du soldat qui voulait atteindre à sa vie pour venger l'honneur de sa soeur (il est question évidemment de Marguerite, mais celle-ci n'est pas nommée comme telle dans le texte de Busoni)... Thomas Hampson captive par son jeu expressionniste, à la Murnau, yeux écarquillés, mine horrifiée et haineuse, fixation hallucinée, âme faillible pénétrée par un désir irrépressible (à l'égard de la duchesse de Parme...). Quel sens du théâtre, quelle palette d'émotions et d'expressions, alternées brutes sans ménagement, avec maestrià, continuement négociés et à mesure humaine: jamais le style de l'acteur ne confine à la mièvrerie ni au surinvestissement... Dévoré par la peur panique de manquer de séduction ou de pouvoir, le savant nage entre folie, inconscience et délire, toute son action à la fois superbe et dérisoire, mais aussi froide et cynique, est magistralement investie par le baryton américain.  Dès le premier tableau, quand les trois étudiants de Cracovie se présentent à lui, annoncés par son serviteur Wagner, comme une réponse à l'énigme qu'il a lui-même posée, Faust déclare "le temps file et il est impossible de le rattraper"... Voilà la clé de la quête malheureuse et tragique du vieux solitaire: en pensant abolir la course du temps, et réécrire son histoire, Faust possédé par ses désirs, provoque à rebours sa propre fin, éprouvant au final, la vanité de toute ambition, car "il n'a pu faire le bien qu'en fonction du bien qu'il a lui-même reçu"... En définitive, le Faust busonien s'est interdit tout salut en s'isolant par vanité et par imposture.

Si l'oeuvre est restée fragmentaire, laissée inachevée par Busoni, mort pendant sa composition, en 1924, l'idée maîtresse de la partition demeure explicite. L'opéra, complété par son élève Philipp Jarnach, a été créé à Dresde en 1925. Même s'il existe aujourd'hui, depuis 1985, sous la plume d'Anthony Beaumont, une version différente, qui s'appuie, plus respectueuse, sur les esquisses musicales du compositeur, c'est la version Dresdoise de 1925 qui est ici abordée par Philippe Jordan. Précisément parce qu'elle pporte une conclusion offrant une réelle dimension dramatique.

La mise en scène de Hans Michael Grüber
insiste sur la stature du savant (la scène représente un cabinet d'alchimiste), comme sur l'être désabusé, frustré contradictoirement par sa connaissance prodigieuse, en proie aux forces les plus obscures du psychisme. Ce profil de vieux lion solitaire prend évidemment sa source dans la vie même de Busoni qui vit à Zürich, comme un fauve dans un refuge trop étroit. Le déploiement scénique donne cohérence aux couleurs et aux formes du surnaturel. La direction de Philippe Jordan se montre fine, mesurée, suggestive même si parfois elle manque de vertiges et de souffle. Mais l'équilibre entre voix et fosse est magnifiquement respecté, produisant grâce à l'intelligence scénique de Grüber, un spectacle convaincant. D'autant que vocalement, l'ensemble du plateau, dominé par la présence lunaire et habitée de Hampson, éclaire toutes les noirceurs d'une partition qui frappe comme un énigme.

Dans les bonus vidéo
, deux entretiens retiennent l'attention et renouvellent un exercice souvent bâclé par les réalisateurs. Philippe Jordan explique en quoi l'oeuvre est un défi pour les chefs comme pour les metteurs en scène: irrésolue, énigmatique, c'est une porte ouverte à l'imaginaire. Le jeune chef suisse précise surtout pourquoi il préfère la version Jarnach qui même si elle suit moins scrupuleusement les esquisses manuscrites de Busoni, s'avère plus inspirée, digne du matériel antérieur laissé par son maître. De son côté, Thomas Hampson lors d'une conférence de sensibilisation donnée à l'Opéra de Zürich revient sur l'un des rôles importants de sa carrière: avant Zürich, il a déjà incarné le Faust Busonien en 1999 à Salzbourg dans la mise en scène de Peter Mussbach. Vivant, et lui aussi, d'une certaine manière habité par la démesure du personnage, le baryton se montre inspiré par les questions posées.
Au final, qu'avons-nous? Une oeuvre aussi méconnue que fascinante, interrogeant les formes et le sens de la musique théâtrale,  des interprètes engagés, une mise en scène qui tout en soulignant la part de fantastique et de surnaturel du sujet, sait demeurer limpide: cette version vidéo est un nouveau titre incontournable de cette fin d'année 2007!

Ferrucio Busoni: Faust (version Jarnach, 1925)
Thomas Hampson (Faust), Gregory Kunde (Mephistopheles),  Günther Groissböck (Wagner), Sandra Trattnigg (Die Herzogin von Parma)... Choeur et orchestre de l'Opéra de Zürich. Philippe Jordan, direction musicale. Klaus Michael Grüber, mise en scène. Filmé en octobre 2006.

Extrait vidéo mis en ligne sur la homepage de classiquenews.com: dans l'extrait mis en à ligne sur notre page d'accueil, (Scène finale. Durée: 3mn), Faust est arrivé au terme de sa carrière, sommé d'en finir avec sa longue quête de sens.  Agent du destin, Mephistophele paraît et lui signifie clairement le terme de l'échéance. Le vieil homme accablé et exténué implore en vain, sa grâce... au comble de la désespérance, il reconnaît dans le bébé qui lui a été remis, la possibilité d'une renaissance. L'enfant qui grandira pourrait sauver l'humanité condamnée. C'est l'espoir que chaque ancien fonde dans les générations futures. A tort ou à raison.

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Crédits photographiques: (1), (2) et (3) trois portraits de Ferrucio Busoni (DR). (4) Philippe Jordan (DR)
 
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