HARRY HALBREICH

GIAN FRANCESCO MALIPIERO

LES QUATUORS À CORDES

LES INDISPENSABLES DE LA MUSIQUE

Il n'est point de compositeur plus injustement oublié aujourd'hui (même dans son pays) que Gian Francesco Malipiero, qui fut pourtant le créateur le plus fécond et le plus personnel de sa génération en Italie. Certes, il a beaucoup écrit, trop sans doute, et le temps devra faire un tri parmi ses quelque cent soixante-quinze ouvrages; mais lui-même était conscient de ce fait. Cependant, ses huit Quatuors trouvaient tous grâce à ses yeux, de même que quelques autres partitions de musique de chambre. Ils constituent en effet un cycle homogène et de haute valeur, et, de manière générale, c'est le meilleur Malipiero qui s'exprime dans sa musique de chambre, réduite du reste à une quinzaine de titres seulement. Malipiero fut un indépendant, très vite sorti du postromantisme, ne s'attardant pas davantage dans l'impressionnisme, et pourtant conservant de la grande leçon de Debussy le goût de la liberté poussé jusqu'à la fantaisie, de la clarté et de la concision, enfin d'une harrnonie savoureuse et raffinée allant se régénérer aux sources modales, tant du chant grégorien que de la musique de la Renaissance. Longtemps fidèle à un diatonisme Modal d'ailleurs non dépourvu de dissonances parfois assez rudes, le langage musical de Malipiero, toujours axé sur un contrepoint mélodique aussi souple que riche d'imprévus, s'enrichit sur le tard, à partir de 1954 environ, de matériaux nettement plus chromatiques, allant jusqu'à l'utilisation (mais sans esprit de système) de structures dodécaphoniques. Si mélodique, la musique instrumentale de Malipiero se veut cependant athématique, de même que ses structures formelles échappent à tous les cadres traditionnels, et refusent notamment la notion de développement. Livrée aux hasards d'une pensée spontanée et proche de l'improvisation, cette musique dépend évidemment de l'inspiration du moment. Mais, dans ses meilleurs moments - et notamment dans les Quatuors -, elle séduit par sa fraîcheur jaillissante, tantôt proche des sources populaires, tantôt d'un raffinement intellectuel typique de cet aristocrate de vieille race, descendant d'une antique famille vénitienne.
Les deux premiers Quatuors à cordes s'apparentent l'un à l'autre par leur structure très morcelée, faite de brefs épisodes renonçant à toute amplification comme à toute redite. C'est ainsi que le Premier Quatuor, Rispetti e Strambotti (1920), se compose de vingt «strophes» musicales (la plus longue ne dépasse pas soixante mesures, la plus brève en a six seulement), jalonnées par le retour régulier d'une «ritournelle», refrain qui, selon le compositeur lui-même, «traduit la joie de celui qui aime écouter les vibrations des cordes à vide et s'enivrer de leurs sonorités». Le titre se réfère à des formes de la poésie populaire italienne de la Renaissance, formes dont Malipiero ne conserve que l'esprit et non point le cadre assez contraignant. L'œuvre exhale une fraîcheur et une joie du plein air d'une grande séduction et, de même que les Quatuors suivants, révèle une personnalité à nulle autre pareille.
Le Deuxième Quatuor, Stornelll a Ballate (1923), poursuit exactement dans la même veine, avec, ici, quatorze sections et un refrain éminemment violonistique, dont les retours sont cependant moins fréquents que dans l'œuvre précédente.
Le Troisième Quatuor, Cantari alla Madrigalesca (1931), marque une évolution vers une structure moins épisodique, et la libre alternance de passages lents et rapides se répartit ici en deux grandes moitiés que sépare une pause. Mais il n'y a toujours aucun développement thématique. Quant au titre, Malipiero explique - «Les Cantàri alla Madrigalesca ne sont autres que la sonorité des instruments à cordes qui chantent: ils chantent en jouant, et le caractère madrigalesque résulte spontanément de leur expression.» C'est une œuvre particulièrement riche d'inspiration, témoignant, de même que ses voisines, d'un sens naturel des ressources sonores des archets.
Dépourvu de titre, le Quatrième Quatuor (1934) s'avère d'un souffle plus ample, d'une veine plus grave, plus profonde, plus austère sans doute : sept sections seulement, à nouveau réparties en deux moitiés par une grande césure centrale, et, pour la première fois, une conclusion dans un tempo très retenu, telle qu'on la retrouvera dans tous les Quatuors suivants, d'ailleurs beaucoup plus tardifs.
Vient tout d'abord le Sixième Quatuor, L'Arca di Noè (1947), qui se situe dans la grande période symphonique du compositeur (non moins de sept Symphonies naquirent entre 1945 et 1952). Le titre de ce Quatuor fait allusion à la propriété de Malipiero, où celui-ci aimait s'entourer d'une foule d'animaux les plus variés, qui mouraient tous de mort naturelle (selon la légende, il composait avec une chouette perchée sur son épaule, et l'un de ses articles les plus polémiques s'intitule: «Cave canem? Cave hominem!»). Animé et coloré, ce Quatuor répartit cette fois ses divers épisodes en trois grandes séquence, séparées par des silences en point d'orgue.
Par contre, le bref Septième Quatuor (1950), l'un des plus soutenus d'inspiration, se présente d'un seul tenant.
Cette même année voit naître, maintenant seulement, le Cinquième Quatuor,
I Caprices di Callot: ce retard s'explique par le fait que sa musique provient de matériaux tout d'abord prévus pour l'opéra de ce nom, composé en 1941-42, mais non utilisés à l'époque.
Malipiero avait la superstition du 7, au point de ne pas numéroter les trois Symphonies succédant à sa Septième. Les quatre suivantes obtinrent les numéros 8 à 11, alors qu'il s'agissait en fait des numéros 11 à 14! Il parvint à rompre l'envoûtement, précisément, en composant un Huitième Quatuor, «Quartetto par Elisabetta», en 1964, alors qu'il avait atteint quatre-vingt deux ans. «Elisabetta», c'est la célèbre mécène américaine Elisabeth Sprague Coolidge (dédicataire, du reste, de tous ses autres Quatuors). Bref et d'un seul tenant comme le Septième, cet ultime Quatuor illustre l'évolution du vieux maître vers un langage plus complexe et plus chromatique, intégrant des structures dodécaphoniques, - un langage dont toute trace de tonalité ou de modalité a disparu.**
AUTRES ŒUVRES

À côté des Quatuors, il faut citer quelques autres œuvres de même signification. Et tout d'abord la Sonata a Tre de 1927, se composant d'un premier mouvement pour violoncelle et piano, d'un deuxième pour violon et piano, et d'un finale réunissant les trois instruments.

D'une forme analogue à celle des quatuors de la mme époque,
Epodi e Giambi (1932) s'en distingue par l'originalité de sa formule instrumentale, qui devrait valoir une plus grande notoriété à cette ceuvre au demeurant assez brève: violon, alto, hautbois et basson.

De même, la
Sonata a Cinque (1934) doit sa séduction à sa formation pour flûte, harpe, violon, alto et violoncelle. Elle se divise en deux grandes moitiés, comme les Troisième et Quatrième Quatuors, et compte au nombre des meilleures inspirations de Malipiero.

Celui-ci a d'autre part écrit deux œuvres pour les instruments à vent datant de sa dernière période, plus chromatique: une
Sonata a Quattro pour flûte, hautbois, clarinette et basson (1954), et un quintette à vents dans la formation normale (flûte, hautbois, clarinette, basson et cor), qui fait partie d'une série de huit Dialoghi pour diverses formations composées en 1956-57, et qui porte le titre amusant de Dialogo IV, «Per cinque strumenti a perdifiato» («a fiato » désigne des instruments à vent, mais « a perdifiato» signifie «à perdre le souffle», - allusion à la virtuosité qu'exige cette page brève, mais brillante et difficile).

Enfin, on citera pour mémoire une juvénile
Sonate pour violoncelle et piano (1907-08), l'une des très rares ceuvres postromantiques de Malipiero, une courte pièce pour violon et piano intitulée Il Canto della Lontananza (1919), enfin une brève mais intéressante Sonatine pour violoncelle et piano de 1942.

Non è possibile in poco spazio parlare diffusamente anche della musica da camera: come già s'è detto la produzione di Malipiero è veramente sterminata e comprende opere di tutti i generi. Tra le cose ultime piú interessanti vale la pena di citare il Quartetto per Elisabetta (1964), ottavo della serie. Presumibilmente composta di getto, si avvale di quella «manualità» strumentale istintiva e certo distillata che ormai da tempo si riconosce come tipica dell'arte del veneziano. La vicenda sonora si configura in un solo, ininterrotto movimento, articolato però internamente in sezioni mosse alternate con più pacate figurazioni. Si è detto che non si può parlate di «vecchiaia» per Malipiero, ché anche nelle sue ultime opere si ritrova lo stesso impeto e la stessa forza creativa di quelle che appartengono al periodo giovanile o della prima «maturità»: ora si può portare il discorso ancora piú in là, rilevando come giovi alla tensione delle opere nate dopo il '54 l'accettazione del cromatismo atonale. Il Quartetto per Elisabetta, alieno da tematismi accentuati, si basa su un tessuto armonico atonale seppur non immune da reminiscenze tonali e modali, che evita estesi procedimenti contrappuntistici e procede in un libero susseguirsi di immagini. Curiosa la serie delle «cadenze» dei singoli strumenti: cadenze immesse successivamente in un contesto strumentale ben definito ritmicamente. Così pure da rilevare sono alcune zone di ricercata concezione timbrica, come l'episodio posto al termine delle cadenze, svolto sulla quarta corda e ricco di 'glissati', o la serie di tremoli sul ponticello del 'Non troppo lento', che sfocia al culmine in angolose sonorità sfaccettate ritmicamente. Davvero con l'ottavo quartetto per archi Malipiero ha dato nel '64, all'età di ottantadue anni, una testimonianza di inesausto spirito di ricerca.[ARMANDO GENTILUCCI]