Pascal Huynh

LE COMBAT FAUSTIEN DE LA POLYPHONIE
(DOKTOR FAUST DE BUSONI ET PALESTRINA DE PFITZNER)



© Pascal Huynh et Théâtre du Châtelet

Busoni et Pfitzner: le croisement des extrêmes. En publiant en 1907 son Esquisse d'une nouvelle esthétique musicale, Ferruccio Busoni n'était sans doute pas conscient des remous qu'elle susciterait tant auprès des jeunes que chez ses éminents collègues appartenant à la génération post-romantique. Si les apprentis compositeurs nés pour l'expérimentation (Edgar Varèse, Alais Hâba, Arthur Lourié...) en firent leur livre de chevet, les farouches partisans du wagnérisme, conscients du processus de dislocation avancée qui guettait ce dernier en ce début de siècle troublé, manifestèrent leur réserve face à cette enfilade de propositions confuses, présentées sous une forme décousue et semblant refléter un dilettantisme fâcheux. Au-delà de la quête spéculative appelant au dépassement des échelles traditionnelles qui laissa Schoenberg dubitatif, l'aspiration à l'idéal du classicisrne, sous couvert d'opposition au drame wagnérien et à la musique à programme, ne pouvait que chatouiller la fibre chauvine des contemporains de Richard Strauss, d'autant que Busoni avait par ailleurs manifesté une admiration non dissimulée envers l'auteur de Parsifal.

Quelques années plus tard, en 1916, il fit paraître la seconde édition de son Esquisse qui bénéficia d'une diffusion élargie et suscita en retour la réponse musclée du compositeur et chef d'orchestre Hans Pfitzner (1869-1949). Personnalité reconnue du monde musical strasbourgeois et bavarois, celui-ci ne fit pas dans la demi-mesure en décochant en riposte les phrases assassines de son pamphlet Futuristengefahr (Danger futuriste, 1917), dont la force de frappe fut renforcée, trois ans plus tard, par une déclaration de nature idéologique destinée aux champions de la nouvelle démocratie de la République de Weimar. Son titre, La Nouvelle Esthétique de l'impuissance musicale. Un symptôme de décomposition, ne dissimulait pas la vigueur combative qu'elle mettait en branle. Déjà, dans le Danger futuriste, Pfitzner avait enregistré comme une déclaration de nature quasi politique les propositions de Busoni, qu'il assimilait au processus de décadence spirituelle; alimenté par la vague pacifiste, celui-ci était censé déferler sur un pays bientôt voué à une défaite cruelle. Et Pfitzner d'incarner dans le domaine musical les positions défendues par Oswald Spengler dans son ouvrage fleuve (et best-seller) Le Déclin de l'Occident (1918-1922).

Par leur style et leur contenu des plus contrastés, les deux essais de Busoni et de Pfitzner illustraient la version moderne du combat récurrent entre les Anciens et les Modernes, dont les enjeux visaient la pérennité ou la crise de la polyphonie et du drame wagnérien en tant que vecteurs d'une conception musicale du monde. Attisée par un climat idéologique des plus agités (Paul Bekker, exégète de Busoni et Krenek, et auteur en 1911 d'un Beethoven qui suscita l'acrimonie de Pfitzner, fut l'un des inspirateurs de la seconde phase du débat, tandis qu'Alban Berg se hâta d'attaquer à son tour l'auteur aigri de La Nouvelle Esthétique de l'impuissance musicale), la querelle Busoni / Pfitzner s'institutionnalisa en quelque sorte après la révolution de novembre 1918, ses deux représentants enseignant tous deux la composition à la prestigieuse Académie prussienne des arts de Berlin.

On ne sait si Hans Pfitzner put assister à une représentation de Doktor Faust; s'il en avait eu l'opportunité ou la curiosité, sa condamnation des théories de Busoni n'aurait pu qu'être adoucie par le spectacle scénique, tant la philosophie et l'épaisseur musicale qui se dégagent de Doktor Faust, dominées par les concepts d'horizon sonore et de perspective acoustique, rejoignent les traits d'écriture de son propre opus magnum, Palestrina (1912-1915). Ces deux ouvrages furent composés dans la continuité, durant les premiers mois du conflit mondial, et se répondent déjà par le fait qu'ils s'entourent d'un corpus esthétique ambitieux.

En agitant le chiffon blanc de la décadence en un signe inquiétant de paranoïa, Pfitzner semblait incapable de discerner à quel point Busoni demeurait attaché à une dimension éminemment romantique de la musique, centrée sur la solennité, le mystère, la magie, mais aussi, plus généralement, à l'idée de la forme. Le concept de musique absolue ne pouvait davantage heurter Pfitzner qui défendait une conception schopenhauerienne et wagnérienne d'un art capable de tout exprimer et dont il soulignait précisément la supériorité sur les autres disciplines. Car la notion implicite de génie prêtée au compositeur, dont la tradition puise chez Bach pour se sédimenter dans le modèle wagnérien, ne peut être exclue de l'analyse de Doktor Faust et rejoint, dans la dimension d'un «pourquoi» insondable de l'ceuvre d'art, la subjectivité de l'interprétation faustienne inhérente au Palestrina de Hans Pfitzner. Au delà, les deux ouvrages partagent une autre référence, celle qui désigne le maître de la Renaissance italienne Giovanni Pierluigi da Palestrina qui fut lui-même englué dans une âpre querelle entre Anciens et Modernes avec, pour enjeu, la dimension religieuse de l'art polyphonique. Ce faisceau d'influences et de carrefours nous invite à considérer dans un même élan la seconde partie du premier acte de Palestrina et les deux prologues de Doktor Faust.

Alchimie wagnérienne et oeuvre d'art totale - Dans ses Considérations d'un apolitique (1918), Thomas Mann analyse avec bienveillance le «cas» Pfitzner qui mobilisera longtemps son attention avant que son engagement pour la nouvelle démocratie allemande ne l'en détourne irrémédiablement. Insistant sur la parenté spirituelle qui l'unit au Palestrina, à une époque qu'il juge douloureuse pour l'esprit allemand, Mann décrit l'opéra comme «le dernier écho et, consciemment, l'ultime de la sphère schopenhauerienne-wagnérienne, de la sphère romantique, avec ses caractéristiques à la Dürer, à la Faust, son atmosphère métaphysique, son éthique de la Croix, la mort et la tombe». Les observateurs furent en effet frappés par l'ampleur de l'inspiration qui émane des premières mesures du prologue, forgeant un drame de l'invisible qui rejoint le propos de Busoni défini dans Doktor Faust: «Ce qui n'est pas vu est révélé par l'audition.»

 Exploitant pleinement cette idée, ce dernier éprouve les potentialités du chant et de l'action derrière la scène, au moyen d'un second effectif instrumental particulièrement nourri (2 hautbois, 6 cors, 3 trompettes, 3 trombones, percussions, 2 harpes, célesta, cordes sans basses). Soucieux de ne pas circonscrire la représentation du drame à la limite optique de la toile de fond (conformément à ses références cosmiques, il rapproche cette imperfection de la face cachée de la Lune), Busoni en appelle à l'imagination du spectateur, invité à dépasser le cercle visible en sondant avec le compositeur l' «horizon sonore, la perspective acoustique!». Cette exhortation à «compléter» l'action renvoie sans aucun doute à la définition d'un art total qui ne saurait ignorer la référence wagnérienne.

De son côté, Pfitzner dépeint avec maîtrise les hallucinations d'un artiste en proie au doute qui s'accompagnent de projections auditives; il déploie la même opulence orchestrale que le fait Busoni dans le prologue et le début du dernier tableau de Doktor Faust; les deux compositeurs créent là une typologie et un timbre on ne peut plus wagnériens. Chez Pfitzner, l'exaltation du génie et de l'inspiration prend corps dans la maîtrise polyphonique, à la fois création artisanale issue du corps et de l'esprit, et forme intemporelle. Les scènes 4 à 7 du premier acte de Palestrina constituent bien une vaste fresque forgée (au sens busonien du terme) dont l'alliage tient à la fusion entre récitatif, symphonie, choeur et sonorités d'orgue. Secoué par sa confrontation houleuse avec le cardinal Borromée, en proie au doute, Palestrina se voit dicté le texte de sa messe par les anges. Au terme de ce miracle, la lumière qui inondait la scène décline lentement alors que l'aube pointe. Dans cette partition, la relation entre grand orgue et positif revêt un rôle dramaturgique tendant à rehausser la dimension sonore, libre de toute sujétion au visuel.

Inhérent à Palestrina et il la conception musicale du monde définie par Pfitzner, le mysticisme investit à son tour les premières pages de la Symphonia de Doktor Faust. La sonorité des cordes avec sourdines, l'imbrication rythmique, la différenciation de la dynamique et la prégnance de la pédale qui envahit l'édifice entier sculptent un temps originel, à la manière du prélude de L'Or du Rhin, qui se décante peu il peu par une écriture déliée en ternaire. Dans ce tableau sonore, instruments et voix ne sont pas encore différenciés; introduites par des trémolos, les interventions décalées sur «Pax, pax» résonnent comme des battements de cloches. L'espace temps / son court vers la saturation. Dans ce contexte, les instruments «couleurs» comme la harpe el le célesta ne possèdent pas de valeur propre, mais fondent une alchimie au timbre mat.

Un pas de plus vers le mysticisme musical est franchi dans le second prologue qui enregistre dans sa section inaugurale le rôle prédominant des cordes en une sonorité wagnérienne, telle que Pfitzner l'aurait entérinée. Busoni traite l'invocation à Lucifer en recourant à l'artifice du choeur et de l'orchestre derrière la scène. Un accord au profil «religieux» précède l'apparition des six esprits donnant matière il variations; chacun de ces morceaux forme une entité à la couleur contrastée: le célesta se fait entendre lors de l'apparition du deuxième démon. Lorsque le troisième disparaît, un accord-scansion (sur «forl!») évoque le traitement des enfers chez Gluck (Orphée) et Mozart (Don Juan). Un choeur d'outre-tombe soutient l'apparition du quatrième esprit alors que le choeur accompagne l'intrusion du cinquième (Megaros). Précédant l'irruption fatale, le lyrisme et la clarté s'installent momentanément il travers des sonorités de cordes et de harpes. L'appel de la sixième voix «Faust! Faust! Faust!» a cours sur un long trille des bois. Un motif en valeurs longues est entonné aux cuivres lors de l'entrée de Méphistophélès dont le nom est scandé par le choeur lointain.

Cet accroissement expressif et dramatique qui conforte la référence récurrente au surnaturel chez Busoni et correspond il une gradation vers la tessiture la plus aiguë (celle qui, en porte-il-faux avec la tradition de l'opéra, correspond au rôle de Méphisto) se dilue dans les variations chorales de Pâques marquant parallèlement l'augmentation du rôle du choeur derrière la scène. De manière symbolique, le Credo intervient au moment où le pacte entre Faust et Méphisto est scellé: dans ce passage, Busoni s'est directement inspiré de l'écriture de Giovanni Pierluigi da Palestrina et une fois encore, la parenté avec le monde de Pfitzner ne peut que frapper. Mais la finesse du jeu instrumental et cette sonorité quasi impressionniste sont bien l'apanage de Busoni: le choeur est soutenu par deux cors dans l'orchestre et les cordes avec sourdines derrière la scène. Le compositeur indique: «perceptible de loin et des hauteurs». Lorsque le jour paraît, s'installe un Tempo della symphonia, épisode tranquillo qui voit l'entrée de l'orgue dans une écriture de choral; le choeur derrière la scène se fait de plus en plus présent. La conciusion, avec le concours des percussions et cloches, apporte un climax de type brucknérien et wagnérien, le Gloria se précipitant sur la victoire de Méphistophélès: «gefangen!» (pris!). Au terme d'une grande pause, quasi adagio, la scène est de plus en plus éclairée (le choeur entonne un Alléluia). De la fenétre perce la lumière du matin. Le parallèle avec la fin du premier acte de Palestrina, qui conclut dans la lumière réparatrice de l'aube, se révèle édifiant.

En contraste avec l'idée de clarté et de victoire, l'Intermezzo scénique de Doktor Faust est plongé dans la nudité la plus totale; il s'ouvre par l'orgue solo qui, de par sa fonction de réminiscence sonore, occupe un rôle central dans tout l'opéra. L'austérité de l'écriture répand la couleur d'une musique d'orgue luthérienne. Le spectateur-auditeur se trouve quasiment assimilé au visiteur d'une église déserte qui résonnerait des développements d'une improvisation sans fin.

Un autre grand exemple de transmulation musicale consacrant la fusion du visuel et du sonore investit le dernier tableau de l'opéra qui voit Faust évoquer la lumière brillant chez son ancien assistant Wagner («Je connais cetle maison C'était la mienne. Et je sais aussi qui s'éclaire à la lumière brillant derrière cette porte.»). L'église est à son tour éclairée de l'intérieur alors que retentissent de vastes accords. C'est après l'échec de son rapprochement avec Dieu que la dimension mystique de l'opéra triomphe pleinement, il travers l'accomplissement de la régénération.

Incursion dans le «mondain». Il semble qu'en regard des trois séquences préliminaires (Prologues I / II, Intermezzo scénique), l'action principale de Doktor Faust, du moins dans ses deux premiers tableaux, pâtisse d'une lumière plus crue et soit moins aboutie dans cette fusion du visuel et du sonore. Busoni décrit d'ailleurs ce passage vers une strate différente de l'action comme l'«éloignement du mystique vers le mondain». De nature extravertie, il enregistre l'accumulation de morceaux de caractère: le Cortège prend ainsi l'allure d'une polonaise à laquelle succèdent pastorale, galop, valse et menuet; l'enfilade des visions provoquées par le magicien Faust donne lieu à l'établissement d'une couleur locale. Dans le tableau de la taverne, un ländler rend la primauté au choeur qui commence à se faire entendre la toile encore baissée. Mais cette action principale vaut essentiellement par la relation, de l'ordre de l'inconscient, qui se noue entre Faust et la Duchesse de Parme à travers la remise de l'enfant mort par Méphisto, déguisé en messager. «À ce moment-là, Faust ne comprend pas encore la signification de cet avertissement et Méphistophélès continue à le dérouter en le leurrant avec l'espoir que, de l'enfant mort, pourrait naître un "idéal" vivant.»

Dans l'essai Sur la partition du «Doktor Faust» (1922) d'où sont extraites ces lignes, Busoni a mis l'accent sur l'architecture globale fournie par le texte; il développe le concept de «polyphonie linéaire» résultant de lignes mélodiques qui se croisent et se portent mutuellement, créant d'elles-mêmes un sentiment harmonique. Pour définir un versant très couru de l'expérimentation musicale de l'après-guerre, cette conception circonscrit directement la dramaturgie mystique du Doktor Faust. Mais la fusion du geste vocal et instrumental ainsi que te souci de «créer des formes musicales autonomes, à la fois capables de sadapter aux paroles et à l'action scénique, et d'exister en soi, avec un sens propre, détachées du poème et de la situation!», mobiliseront directement la génération de Hindemith et Weill dans le vaste processus d'actualisation de l'opéra.

Vaste symphonie chorale où communient le visuel et le sonore, le vocal et l'instrumental, Doktor Faust, outre son sens dramatique achevé, prend la forme d'un opéra polyphonique qui aura pour écho spirituel Mathis le peintre (1934-1935) de Paul Hindemith, lui-même précédé de l'hermétique oratorio Le Perpétuel (1931) du même auteur. Le meilleur élève de Busoni, Kurt Weill, dont la carrière prit un tour complémentaire à celle de Hindemith, entrevoyait la finalité de Doktor Faust dans le renforcement de l'unité entre scène et musique et dans «la fécondalion réciproque des imaginations théâtrale et musicale»). À ce titre, le rôle joué par la polyphonie apparaît essentiel; elle «n'est pas un but en soi; elle est le seul type de formulation musicale possible du thème de Faust; elle est l'essence de cet opéra, comme la couleur turque est celle de L'Enlèvement au sérail, le rythme espagnol celle de Carmen, et sa seule fonction est d'accompagner la figure principale de l'oeuvre à travers tous les degrés du sentiment devenu musique.».

Si l'on s'en tient plus prosaiquement à la querelle entre Busoni et Pfitzner, on remarquera que sa médiatisation reflète la politisation extrême du débat musical au lendemain de la Première Guerre mondiale. Elle vient doubler les positions pacifistes du premier et envelopper les positions conservatrices du second sans toutefois révéler une divergence de fond dans l'idéal compositionnel, ce dont témoignent Palestrina et Doktor Faust. La polyphonie allait cependant devenir un des enjeux idéologiques d'une Allemagne livrée à la curée, celle fois sanglante, des Anciens et des Modernes. Unis dans la maîtrise artisanale de l'art polyphonique, Busoni et Pfitzner représentaient deux perspectives antagonistes, l'un porté vers le progrès humaniste que rehaussait la métaphore de ses théories futuristes, l'autre prostré sur l'idéal revanchard d'une conception du monde agonisante.


Pascal Huynh : La Vie musicale en Allemagne sous la République de Weimar

Après la défaite militaire et l'effondrement de l'Empire, l'Allemagne est, en 1918, un pays à reconstruire, où les bouleversements politiques et sociaux s'accompagnent de profondes mutations culturelles. La musique, comme les autres arts, se ressent de ces chocs, les répercute, et devient un enjeu idéologique majeur. L'inflation entretient une angoisse qui trouve sa traduction dans de folles audaces créatrices. Les repères traditionnels s'effacent, les frontières entre les genres s'estompent. À cette période d'effervescence succède une phase de stabilisation (1924-1929) où s'instaurent de nouvelles tendances telles que la Nouvelle Objectivité, le fonctionnalisme, la musique communautaire. La crise économique de 1929 exacerbe les tensions sociales et radicalise les mouvements esthétiques : les compositeurs novateurs (Hindemith, Zemlinsky) se heurtent au conservatisme des milieux académiques et à la haine des nationaux allemands qui, assimilant toute nouveauté au bolchevisme culturel, s'appuient sur les forces montantes du parti nazi. De très nombreux compositeurs, parmi lesquels Kurt Weill et Hans Eisler, vont être contraints à l'exil sous le IIIe Reich. Ce livre, avec pour toile de fond le Berlin des années vingt, restitue la violence et les audaces esthétiques d'une société vivant dans un climat quasi permanent de guerre civile.

Musicologue, critique musical, Pascal Huynh est l'auteur de nombreuses contributions sur la musique de l'entre-deux-guerres, l'histoire culturelle de Berlin et Kurt Weill dont il a publié les écrits et qu'il contribue à faire connaître en France.

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Musicologue et critique musical, Pascal Huynh, spécialiste de la musique de l'entre-deux-guerres, publie une foisonnante étude, La musique sous la République de Weimar qui devrait être suivi par un ouvrage sur la musique sous le IIIème Reich.

La toile de fond de ce livre est surtout le Berlin des années 20 où la société est en pleine mutation, après la cuisante défaite de l'Allemagne en 1918 et l'effondrement de l'Empire. L'auteur ne néglige pas pour autant la situation foyers musicaux en province, dans les anciennes capitales des royaumes de l'Empire. Les structures musicales en fait se réorganisent. On découvre que, comme les autres arts, la musique est enjeu idéologique dans une période de crise économique qui s'accompagne d'audaces créatives, comme si elle permettait d'échapper aux préoccupations du moment. Le foisonnement est réél et les frontières entre les genres disparaissent, le cabaret envahit l'opéra. L'expressionnisme est repoussé par des manifestations dadaïstes et anti-bourgeoises. L'Allemagne connaissant de 1924 à 1929 une période de stabilisation, la vie musicale est bouillonnante, avec l'émergence de personnalités fortes, notamment dans le domaine de l'interprétation comme les chefs Furwangler, Walter, Klemperer, Kleiber, le pianiste Schnabel, certains d'entre eux étant appelés à des postes de responsabilités.Pascal Huynh analyse les nouvelles tendances qui voient le jour, la musique communautaire, le fonctionnalisme, la "nouvelle objectivité" vers laquelle tend un Hindemith, et l'application de ces théories aux musiques pour la radio et le cinéma muet. La crise économique de 1929 va remettre tout en cause et les novateurs, bien que soutenus par la social-démocratie, doivent affronter le courant artistique conservateur inpiré par Hans Pfitzner et le parti National-Socialiste qui les assimile aux Bolchéviques. Arrivés au pouvoir, les nazis contraignent les musiciens d'origine juive à l'exil, Schoenberg, Schreker, Eisler, Weill, Krenek.