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William Christie fête ses 20 ans à la tête des Arts florissants et donne Les Indes galantes, de Rameau, à l’Opéra de Paris. Celui à qui l’on doit l’éblouissante résurrection de la musique baroque en France n’est pas seulement un musicien d’exception. Il est, d’abord, un homme remarquable.

Photo Govin Sorel Interview Alain Steghens


Les artistes classiques gays qui acceptent d’en parler, à Têtu comme ailleurs, sont assez rares…
Et pourquoi donc ? C’est complètement ridicule !

Comment expliquez-vous tant de réticence, en France, alors qu’aux États-Unis, dont vous êtes originaire, c’est monnaie courante ?
C’est sans doute un trait de caractère latin… La révolution sexuelle, c’est évidemment quelque chose que l’on associe aux pays nordiques et aux États-Unis… Cette extraordinaire culture gay… qui est très acceptée par un pourcentage important des gens de ces pays. Cela surprend encore les Français ou les Italiens… Sans doute un vieux reste de catholicisme romain [rires]. Pour ma part, j’essaie d’être honnête. L’honnêteté, cela peut être sexuel… en tout cas, de ne pas cacher toute son existence. Pourquoi aurais-je à cacher que je suis un homme qui aime et qui fréquente les autres hommes ? Mais, d’un autre côté, je suis très pudique : par exemple, tous ces amis hétérosexuels qui affichent leurs exploits et leurs performances sexuels… ça ne m’intéresse pas du tout ! C’est la même chose concernant l’homosexualité. Je ne suis pas véritablement révulsé par cette «insistance publique» sexuelle de la part des gays, mais je n’estime pas ça passionnant…

Vous parlez d’honnêteté… S’agit-il, comme dans votre démarche musicale, d’essayer d’être le plus vrai possible ?
L’honnêteté… En y repensant, je ne sais pas s’il s’agit du bon terme. Tous les musiciens qui s’expriment sont honnêtes, à de rares exceptions près… Nous nous mettons à nu devant notre public. Par moments, on entretient une relation terriblement intime, et on en devient presque vulnérable. Alors, en musique comme pour l’homosexualité, que signifie vraiment honnêteté ? [Silence] Dire les faits tels qu’ils sont, je le crois, sans artifice.

Votre ensemble, Les Arts florissants, a 20 ans. Est-ce que vous vous souvenez comment est née en vous l’idée de cette formation ?
C’était pendant un stage à Royaumont… Je me suis dit que tous ces jeunes sympathiques, artistes bourrés de talent, mériteraient d’être réunis… J’ai ressenti l’envie, le besoin et l’envie, d’être leur meneur, leur catalyseur. Un an et demi après, ces jeunes, des collègues, des amis et des élèves ont répondu à mon appel… Il y avait Dominique Visse, Agnès Mellon, Christophe Coin, Guillemette Laurens… C’était fascinant !

Avez-vous trouvé en France un climat plus propice qu’aux États-Unis pour ce genre d’expériences musicales ?
Vous savez, lorsque je suis arrivé en France, je crois que j’avais idéalisé le pays… J’avais une sorte de déférence pour la culture française depuis toujours… Un immense respect ! Finalement c’était assez romantique de vouloir y fonder un ensemble, dont la mission paraissait à tout le monde très idéalisée, très moralisante quelque part, de courir au secours des compositeurs délaissés, abandonnés [rires]… J’ai adoré cette époque : courir les bibliothèques, trouver des raretés… épater mes amis avec des airs de cours de Lambert, qu’à l’époque on n’avait pas encore redécouvert. Notre base de travail, bien qu’idéalisée, était pourtant très professionnelle, très pragmatique, et nous avons beaucoup progressé.

L’opéra est une des passions de votre carrière. C’est un moyen de communication différent du concert traditionnel : il allie la danse, le chant, la musique instrumentale… Lorsque vous ouvrez une nouvelle partition, regardez-vous chaque pièce avec le même œil, ou bien l’opéra suscite-t-il en vous des frissons d’un autre genre ?
L’opéra, qui est vraiment un grand rassemblement d’arts, oblige à avoir une vision d’ensemble. Lorsque je veux aborder un ouvrage d’un compositeur inconnu… tenez, comme Destouches, ou un Rameau rare… je regarde la musique, bien sûr, mais le livret est capital : est-ce qu’on peut faire quelque chose avec une telle histoire, est-ce que c’est cohérent ? Si l’intérêt est purement musical, est-ce que ça vaut la peine de se lancer dans tout un travail de mise en scène, d’imagination visuelle ? Une résurrection d’opéra, avec costumes, décors, c’est un énorme travail qu’on ne peut pas manquer, sous peine de faire retomber l’œuvre dans l’oubli. Mais puisque je suis musicien, je suis, bien sûr, frappé d’abord par les qualités musicales.

Pourtant la mise en scène est un art dont vous semblez très préoccupé. Est-ce que vous vous en «mêlez» beaucoup dans une production d’opéra ? En clair, êtes-vous du genre à vous impliquer dans tous les aspects d’un spectacle, à intervenir ? Lorsqu’on vous voit, vos gestes sont presque ceux d’un directeur d’acteurs indiquant des déplacements.
Non ! Évidemment, j’ai une imagination terrible ! Et, bien souvent, il m’arrive de venir sur le plateau pour discuter avec le metteur en scène, pour apporter mes propres idées. Mais c’est quand même assez rare. Mes interventions sont vraiment d’ordre musical. Si je vois que la mise en scène devient trop difficile, si elle empêche le chanteur de s’exprimer convenablement, si elle exige trop du chanteur, alors là j’interviens. [Amusé] J’attends aussi du metteur en scène qu’il s’en rende compte lui-même ! Sinon, véritablement j’interviens ! J’attends que le metteur en scène intervienne sur mon travail, demandant si on ne pourrait pas nuancer légèrement tel tempo. (Ironique) Ce qui sous-entend qu’il lit parfaitement la partition… J’adore ce genre d’échanges. J’adore travailler avec l’ami metteur en scène. J’attends ses apports… Oui, l’ami metteur en scène !

En fait, ce qui vous plaît le plus, c’est d’être l’animateur d’un groupe, une sorte de leader spirituel, musical.
Oui, ça m’intéresse énormément. Pas pour des raisons de pouvoir. Mais parce que je suis très heureux de faire un travail avec un groupe. Je peux, par exemple, être au clavecin avec Christophe Rousset à la direction, ou encore diriger une minuscule poignée de musiciens. Je suis profondément social, comme musicien. Sans doute est-ce pour cette raison que je n’ai pas fait la carrière que j’aurais pu faire – paraît-il – comme claveciniste soliste. La solitude, c’est une chose que je n’ai pas toujours bien maîtrisée…

Justement, pendant ces vingt ans avec votre ensemble, vous avez vécu une existence constituée d’épisodes assez fugaces. Les uns et les autres font leur chemin, quittent Les Arts florissants. Christophe Rousset, Christophe Coin. Malgré ce mouvement de va-et-vient, parvenez-vous à y trouver l’esprit d’une famille et d’une vraie force ?
D’abord, on garde beaucoup de musiciens comme amis. Pour revenir à Christophe Rousset, qui a fondé son propre ensemble, Les Talents lyriques, le fait qu’on se voit peu, pour des raisons de calendrier, n’enlève rien à la force de notre relation… de cette amitié. Si nous parlons de jeunes chanteurs, qui font ensuite leur «carrière», je n’appellerai pas cela des épisodes fugaces. Si l’on prend comme exemple la soprano Véronique Gens, j’ai travaillé avec elle quatre ou cinq ans ! Vous appelez ça fugace ? Une vraie complicité se crée, vous savez. L’autre jour, j’ai travaillé avec Howard Crook, que je connais depuis 1986, ou avec Monique Zanetti, que je connais depuis dix-sept ans. C’est comme s’ils faisaient toujours partie du groupe ! Comme si c’était hier. Quelque chose de très émouvant. Je crois que je ne supporterais pas de garder quelqu’un de force. L’idée, c’est de participer un moment à une aventure, de la développer, de l’épanouir… puis d’accepter les conséquences de cette histoire.

C’est tout, sauf un métier de solitaire…
La solitude, c’est autre chose… [Long silence] La solitude, ça existe cruellement. Musicien, chef d’orchestre, cela ne semble pas un métier de solitaire. Pour le reste… la solitude existe quand même.

Discographie récente : Marc-Antoine Charpentier : ballets, Les Arts florissants, CD anniversaire (Erato) – Haendel : Acis et Galatée, avec Patricia Petitbon et Paul Agnew (Erato) – Mozart : L’Enlèvement au sérail, avec Ian Bostridge, Christine Schäfer et Patricia Petitbon (Erato).


Interview publié dans le Têtu n°38 - Octobre 99


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