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HEINZ SPOERLI

«LA DANSE, C'EST COMME UN MARIAGE»


Faire du corps de ballet de l'Opéra de Zurich une compagnie internationale réputée aux quatre coins de la planète, telle était la mission de Heinz Spoerli. Il l'a accomplie en quelques années seulement.


PROPOS RECUEILLIS PAR MICHAEL MERZ


Né à Bâle, Heinz Spoerli est aujourd'hui âgé de 60 ans. Sa carrière de danseur l'a mené au Canada, où il a été premier danseur au Royal Winnipeg Ballet. Depuis 1973, il a produit ses propres créations et occupé le poste de directeur du corps de ballet de Bâle.
Sous sa férule, ce dernier a exécuté plus de 70 de ses chorégraphies. Dans le même temps, Heinz Spoerli acréé des oeuvres pour le Stuttgarter Ballett, le Wiener Staatsoper, la Scala de Milan et l'Opéra de Paris. En 1996, il prend les rênes du ballet de l'Opéra de Zurich, pour lequel il crée de nouvelles chorégraphies: Songe d'une nuit d'été, Variations de Goldberg et Sacre du printemps. Le ballet de l'Opéra de Zurich s'est fait en peu de temps une réputation mondiale en se produisant dans des festivals de renom aux quatre coins de la planète.

www.spoerli.ch

La critique m'a souvent aidé. Mais elle m'a aussi laissé tomber parfois. Heureusement, je savais déjà qu'ellene peut pas faire de vous un chorégraphe, pas plus que le talent seul n'y suffit. Il me restait toutefois à apprendre que la critique aime le pouvoir. Mais cela m'aide de savoir que les connaissances des critiques ont fortement changé. Ils ne les acquièrent plus activement, en se plongeant dans le monde de la danse, mais passivement,
comme des consommateurs. Et ils y ajoutent une touche intellectuelle! Pour eux, tout commence avec Pina Bausch.
Ils s'enthousiasment, à juste titre d'ailleurs, pour son théâtre dansé. Mais ils en oublient qu'il ne s'agit que d'une expression formelle de la créativité de la danse d'aujourd'hui. A l'heure actuelle, ce qui manque à la plupart des critiques, ce sont des connaissances plus générales de la danse - connaissances essentielles pour être en mesure d'apporter des jugements valables.

D'aussi loin que je m'en souvienne, il en a été ainsi. Les compagnies de ballet sont formées de danseurs provenant d'une vingtaine de pays au moins. Un danseur peut intégrer n'importe quelle troupe sans rencontrer de difficultés de compréhension
majeures. Chaque membre d'une troupe sait comment l'on danse à Moscou, à Paris ou à Londres en ce moment.
Ne serait-ce que du fait de cette internationalité, la danse se compose d'une multitude de courants. Un chorégraphe comme moi doit non seulement les connaître, les suivre, mais aussi leur survivre!

C'est court une carrière de danseur. A 35 ans, c'est fini. Il faut donc du talent, et changer souvent de compagnie. Meilleure est ma compagnie, meilleurs sont les danseurs désireux d'y entrer!

Je passais pour un néoclassique parce que je n'avais pas remisé les pointes. Mais William Forsythe, à Francfort, non plus. Et de nous tous, c'est lui l'avant-gardiste. Pour savoir ce qui va survivre... il faut attendre. Lorsque j'étais jeune danseur, le représentant du courant néoclassique était George Balanchine, Américain d'origine géorgienne, et sa compatriote Martha Graham incarnait la «mo-
dern dance», une forme révolutionnaire, entièrement libérée du carcan du ballet classique. Balanchine et ses créations, qui s'appuient sur les bases de la danse classique, ont survécu. Qui connaît encore Martha Graham? Elle a pourtant joué un grand rôle dans l'histoire de la danse!

Chaque succès me fait naturellement douter. Pour moi, la danse est comme un mariage, et je ne peux m'empêcher de penser: «Combien de temps puis-je encore le prolonger?» Chaque nouvelle création s'apparente également à une naissance - belle certes, mais pleine de moments difficiles. Je ne dois pas simplement enthousiasmer un public, mais d'abord et toujours mes danseurs. Je ne peux pas me contenter de servir du «réchauffé». Ce besoin de se renouveler sans cesse exige beaucoup d'énergie. Il faut dire que je ne suis pas un intellectuel, mais plutôt un artisan discipliné. C'est instinctivement et à force de travail que j'ai réussi à concevoir de nouvelles tendances, que j'ai intégrées et mises en
oeuvre dans mes créations.

Cela nécessite une énergie immense. C'est pourquoi je réfléchis depuis longtemps à mon avenir. Devrais-je démissionner de la direction du ballet de Zurich et me consacrer à la chorégraphie? Faut-il que je reste à la tête de la compagnie et délaisse la création? Un jour, j'en aurai assez. Et je suis de plus en plus sûr d'une chose: ce jour ne saurait trop tarder.