La partition que Busoni a consacrée au mythe de Faust s’écarte résolument des versions lyriques traditionnelles de Berlioz, Gounod ou Boito, car son livret repose sur une version littéraire antérieure à celle de Goethe. L’intrigue est des plus compliquée et tourne autour d’une discussion d’idées et d’enjeux moraux qui se laissent mal mettre en musique, d’autant plus que tout rebondissement amoureux fait défaut… Mais l’orchestration est d’une rare originalité et le flux mélodique, malgré sa complexité, exerce une fascination à laquelle il est difficile de se soustraire. Cela se vérifie d’autant mieux dans cette nouvelle production zurichoise que Philippe Jordan est aux commandes et qu’il paraît bien armé pour marcher dans les traces de son père, voire le dépasser. Il y a chez lui, en effet, un amour de la luxuriance instrumentale qui le pousse à disséquer chaque mesure avec une gourmandise communicative si l’on en juge par l’enthousiasme que met l’orchestre zurichois à traduire ses moindres intentions. De fait, c’est bien dans la fosse que se joue le drame, alors que la scène ne propose qu’une illustration complémentaire, certes nécessaire, mais souvent moins parlante. La mise en scène, signée Klaus Michael Grüber, pose quelques jalons et séduit l’œil autant que l’esprit par sa subtile chorégraphie ; mais elle n’entreprend pas de donner de l’épaisseur à des personnages qui ne sont, finalement, que des allégories vivantes. Le beau décor de Eduardo Arroyo transforme le cabinet de Faust en un vaste laboratoire peuplé de curieuses formes en verre évoquant de loin les fioles du savant moyenâgeux ; il agit lui aussi comme un dérivatif aux longues tirades musicales sans s’imposer indûment à l’attention. L’ouvrage comporte deux rôles principaux dont la typologie vocale va également à l’encontre de la tradition : Faust est en effet un baryton alors que le personnage de Méphistophélès requiert un ténor aigu. Zurich propose, dans ces emplois capitaux, deux chanteurs qui comptent parmi les meilleurs représentants respectifs de leur rôle : Thomas Hampson habite le personnage de Faust avec une véhémence hallucinée qui prend toute sa dimension dans la longue scène finale abordée par ce chanteur comme un long lied avec orchestre. L’effet est saisissant, d’autant plus que l’acteur sait, avec quelques gestes, faire vivre et vibrer son personnage comme peu de chanteurs savent le faire sur un plateau d’opéra. Gregory Kunde, entendu récemment dans La Favorite de Donizetti, atteint également à des sommets expressifs avec son ténor plutôt frêle en apparence, mais d’une intensité qui lui permet de passer le barrage de l’orchestre sans effort apparent. Sandra Trattnig et Reinaldo Macias forment un couple ducal de luxe malgré la brièveté de leur apparition alors que Günther Groissböck, un Wagner et un Maître des cérémonies d’une rare éloquence, prouve une fois de plus que les rôles épisodiques sont tout aussi capitaux pour la réussite d’une soirée que les protagonistes les plus en vue. Aussi la soirée s’est-elle achevée par un triomphe mérité l’aridité de sa trajectoire musicale de près de trois heures.

CLASSIQUENEWS.COM

CONCERTONET.COM

ARTHAUS