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• LE MONDE | 04.10.01 | 12h45
Cecilia Bartoli, olympienne, au Châtelet
Article daté du 14.04.2000
Tout le monde avait le même tuyau : le tiercé Bartoli-Christie-
Arts florissants était donné gagnant. La mise restait modeste, entre 50 et
350 F.
Sur la page de garde du programme, en filigrane, le beau
visage sérieux de Cecilia ; en seconde de couverture, le profil concentré
de William, l'orbe des mains bénissant l'orchestre. Certains pourtant râlaient
de ce que le nombre de concerti prît un telle place, de ce que les sept interventions
de Cecilia parussent tenir la portion congrue. La rareté de ses récitals
avait aiguisé au plus haut point les appétits. Le premier concerto de Vivaldi fut écouté dans
les délices préméditées de ce qui allait suivre : un motet et une superbe
robe parme. Déjà l'orchestre tourbillonnait en unissons furieux. La voix
faisait gronder et jaillir, tonner et crépiter les accents d'un courroux
sans mesure. Le timbre prenait des teintes acier, les rafales vous projetaient
comme fétus. Certains aigus, cependant, points d'aboutissement de ce merveilleux
geyser vocalique, manquaient un peu de rondeur, d'ouverture et de projection.
"Fais-moi pleurer, mon Jésus bien-aimé, et mes larmes réconforteront mon
coeur" : la seconde aria est une merveille de masochisme religieux. Pianissimi
qui tuent, douceurs insupportables, Cecilia Bartoli et ses béatitudes d'amante
pâmée. Sublime indiscrétion... Allons bon, la machine de guerre de l'Alleluia
nous remettra sur pieds. Second concerto, cette fois pour le flautino.
Une drôle de petite flûte, vive et joyeuse, que Sébastien Marq maîtrise comme
un beau diable. Au point que notre grand Bill de Buffalo en esquisserait
quelque pas de faune dansant. Car s'il y a un hic, c'est bien l'absence de
"nunc" de l'orchestre : monterait-il en graine ? Cela sonne poli et policé,
un style que l'on pourrait paradoxalement nommer classique baroque. AIRS DE SOMMEIL HEUREUX
Juditha triumphans : deux airs aux antipodes pour
le serviteur d'Holopherne. L'un, tout de moelleux - Holopherne s'est assoupi
en compagnie de Judith -, appartient à la catégorie des "airs de sommeil
heureux". L'autre - découverte d'Holopherne décapité et désir de vengeance
- est tout hérissé de pics et de fureur. Frémissant d'une rage impuissante,
Cecilia prend ses marques comme pour une course d'élan, avant de porter le
fer, le feu et le sang. Bientôt, la salle tout entière est prête au combat.
Entracte. Avec Haendel, la dérive expressive des continents
Bartoli et Christie va s'accentuant. Dans Il Trionfo del Tempo e del Disinganno,
le chant, libre et délié, bouleversant d'intimité et de puissance extatique,
semble retenu au propre comme au figuré par un orchestre somme toute assez
plat et décoratif. Jusque dans l'air magnifique "Lascia la spina" (préfiguration
du fameux "Lascia ch'io pianga" de Rinaldo), où Bartoli donne la pleine et
trop brève mesure ce soir de son talent d'amoureuse. Aussi le troisième concerto,
malgré la sombre beauté du larghetto initial, la fugue à grand sujet, l'intensité
mélodique de sa musette, paraîtra tirer à la ligne. Dans le brillant finale
qu'est l'aria de l'Ange, extrait de La Resurrezione, Cecilia Bartoli fera
la preuve qu'elle peut battre à la course tous les instruments, hautbois
compris. Olympique et olympienne. Ex-voto général du public.
Marie-Aude Roux
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