L’interprète
face à la partition.
Muséographie
ou appropriation ?
Conférence donnée à Prague le 5 décembre 2000
A l’Académie Nationale de Musique,
En collaboration avec les services culturels de
l’Ambassade de France en République Tchèque,
Par
Jean-Paul PENIN.
« La musique est une chose beaucoup trop sérieuse
pour être laissée aux musiciens ». Si nous sommes réunis aujourd’hui,
artistes, en devenir ou déjà établis, professeurs, critiques, Mesdames,
Messieurs, c’est pour faire mentir ce mot d’esprit, trop facile. Le métier du
musicien est bien étonnant. Il s’agit pour lui de créer, de corriger,
d’évaluer, la chose du monde la plus éphémère : une sonorité. C’est qu’il
lui est de la première importance que cette sonorité soit la plus belle, mais
surtout la plus signifiante possible. Il passe des heures à décider si
telle note est anacrouse ou désinence, si telle articulation n’est pas
meilleure que telle autre, ou bien si tel coup d’archet, telle respiration,
convient à la structure musicale. Il ne sait pas, il ne saura jamais définir ce
qu’est la musique. Il a un flair infaillible, en revanche, pour savoir
lorsqu’elle est absente, Passion de Bach, symphonie de Mozart, sonate de
Beethoven ou de Brahms aux phrasés massacrés par un artiste sans talent, ou bien
encore transformée en objet de musée. La musique, évidemment, est une chose
beaucoup trop sérieuse pour ne pas être laissée aux bons musiciens.
Muséographie
Longtemps, pour eux, tout fut simple. Les compositeurs
écrivaient de la musique pour des interprètes dont le rôle était de l’offrir au
public, de la manière la plus satisfaisante possible, émotionnellement. C’est
principalement en réaction contre cet envahissement affectif de l’interprète
dans le répertoire baroque, qu’est né, dans les années cinquante-soixante, un
mouvement prônant un retour à une plus grande authenticité historique : le
mouvement baroqueux. Les décisions prises alors furent radicales, puisqu’elles
impliquèrent l’abandon des instruments modernes, au profit des instruments
anciens, ainsi que la relecture systématique des traités d’interprétation de
l’époque baroque. Il faut citer, parmi les plus importants de ces premiers
spécialistes modernes du répertoire ancien, à Vienne, Nikolaus Harnoncourt et
le Concentus Musicus, et, dans le monde flamand et néerlandais, les différents
ensembles de musique de chambre formés par Gustav Leonhard, les Kuijken, Frans
Brüggen. L’intégrale des Cantates de Bach, notamment, qu’a réalisée
Harnoncourt, est impressionnante d’originalité dans les timbres, les
articulations, les dynamiques : il s’agit bien là d’un monument
discographique.
En 1982 et 1984, le chef autrichien
proposait deux ouvrages, Le Discours musical et Le Dialogue musical,
que leur érudition et leurs convictions firent saluer comme les manifestes de
cette nouvelle esthétique[1]. Une dizaine d’années auparavant, René Leibowitz
avait publié à Paris Le Compositeur et son double, dans lequel il
opposait une discipline, une éthique interprétative, à une vision
hédoniste du discours musical, dont le risque était de dissimuler la valeur,
le sens de l’œuvre, sous le plaisir qu’il procure à l’auditeur, mais également
à l’interprète[2]. Harnoncourt reprend et développe ces idées. Il
considère en effet que le langage, la symbolique de la musique baroque,
nous sont devenus étrangers, quasiment illisibles, nos traditions
interprétatives étant prisonnières d’un romantisme qui a oublié les règles
propres à ce répertoire, mais occulté, surtout, la conception particulière que
le monde baroque aurait eu de la musique[3]. Il nous faut donc retrouver l’intelligence de cette
musique à partir d’elle même, de ses propres lois historiques, et non
selon la pure sensibilité et l’intuition. Harnoncourt estime également
que les continuels perfectionnements apportés aux instruments leur ont fait
autant, sinon plus, perdre que gagner. Perdre en couleurs, en possibilités
d'articulation, ce qu’ils gagnaient en puissance et en expressivité. Cette
évolution serait beaucoup moins positive qu’il n’y paraît.
La plus belle esthétique est celle de la
subversion, et l’artiste se plait toujours à déboulonner les statues, à
effrayer le bourgeois. Ces nouvelles sonorités suscitèrent donc l’intérêt des
musiciens, car elles leur permettaient de prêter une oreille nouvelle à la
musique baroque. Il faut saluer ces premiers artistes baroqueux qui
témoignèrent alors de conceptions esthétiques assez affirmées, courageuses
même, pour braver l’incompréhension (sinon l’ironie) du public et de beaucoup
de critiques musicaux de l’époque. L’histoire de l’art est familière de ces
renversements de tendances, plus ou moins brusques, menant la peinture ou la
musique dans des directions nouvelles. Ce fut néanmoins la première fois qu’on
se mêla, avec une telle détermination, des décisions artistiques d’un
personnage qu’on avait jusqu’alors laissé en paix : l’interprète. Il ne
s’agissait plus là des habituelles discussions, des critiques normales
qu’entraîne toute interprétation (trop de ceci, pas assez de cela). Il fut
soudain question de remettre en cause une relation naturelle, et jusqu’alors
indiscutée, celle qui existe entre le texte musical et celui qui doit le
transmettre. Ce que l’on ne pressentait pas à l’époque, c’est que l’on touchait
alors à une intimité autrement précieuse : celle qui unit la musique et
l’auditeur.
On n’avait pas tord de vouloir
dépoussiérer un répertoire qui en avait bien besoin. Les enregistrements de
certain Canon de Pachelbel et autres Quatre saisons de Vivaldi
avec grand orchestre symphonique ont en effet de quoi faire frémir. Certes,
après une longue période de quasi indifférence face au répertoire ancien, les
traités d’interprétation avaient commencé à fleurir, dès le début du vingtième
siècle, ainsi que quelques tentatives d’exécution sur instruments d’époque.
Celle de Wanda Landowska, en 1913, fut la plus remarquée, puisqu’elle se fit
construire un clavecin, instrument alors à peu près oublié. Mais ces
expériences restèrent relativement confinées dans des cercles de spécialistes,
et ne réussirent pas à convaincre les interprètes et le public, plus attirés
par la richesse sonore et l’expressivité des instruments modernes, que par
l’exactitude et l’authenticité historique, ou, plus exactement,
n’estimant pas devoir se poser de question à ce sujet. C’est en effet l’époque
où les concertos de Haendel, de Bach ou de Leclair par Cortot, Heifetz, ou
Menuhin, peuvent alors côtoyer dans le même concert, en parfaite fraternité
musicale, Berlioz, Tchaïkovski ou Richard Strauss.
Il s’agissait donc d'une tendance
esthétique originale, lorsqu’on se mit à extraire des musées les instruments de
la Renaissance, de l’époque baroque, puis à faire revivre tout cet ensemble de
sonorités disparues. Les choses devenaient plus claires. Au lieu d’interprètes
indifférenciés, pratiquant l’ensemble du répertoire avec leurs instruments
modernes, apparaissaient, aux côtés des “spécialistes” de la musique
contemporaine, ceux de la musique baroque, également avec rites, inquisiteurs,
anathèmes et chapelles.
C’est alors que certains artistes,
emportés par l'enthousiasme et l’ivresse de la découverte, décidèrent d'amplifier et de généraliser la théorie.
Ils considéraient en effet que ce n’était plus la seule musique baroque que les
interprètes avaient faussée, mais tout le répertoire, jusqu’au plus romantique.
Des « spécialistes » de Haendel, Telemann ou Monteverdi proposèrent
alors des leçons d'interprétation sur l’œuvre de Mozart, de Beethoven ou de
Berlioz. Ils ne s’en tinrent d’ailleurs pas à l’aspect théorique de la
question, car ils créèrent des ensembles « spécialisés » dans telle
ou telle période, parfaitement délimitée, à quelques années près, de l’histoire
de la musique. Après avoir estampillé leurs propres interprétations comme
« authentiques », sous-entendant probablement que les autres ne l'étaient
pas, ils en vinrent à manier des concepts jusqu’alors inconnus des artistes,
comme celui d’une pureté originelle de la musique, qu’il importait de
retrouver, ou bien encore des intentions du compositeur que celui-ci aurait
clairement fait connaître, et qu’il convenait de respecter à la lettre, sous
peine d'infamie musicale.
Là réside en effet le fondement même, plus
idéologique qu’artistique, de la doctrine. Il s’agit maintenant de juger d’une
exécution, non tant par l’émotion qu’elle dégage, que par son degré de respect
des règles anciennes. Ce radicalisme historique fait passer de la notion,
peut-être discutable mais intéressante, d’instruments “anciens”, à celle
infiniment plus large, d’instruments “d’époque”, c’est-à-dire de celle de la
musique, quelle qu’elle soit, que l’on interprète. De l'idée d'étudier les
techniques d'interprétation d'une période de l'histoire de la musique, travail
d'historien, on arrive à celle de virginité musicale retrouvée : travail de
censeur. Amplifications, généralisations infiniment redoutables, en ce qu'elles
condamnent par avance toute contradiction. Elles mettent en effet le concept à
l’abri de la réfutation, car il se prévaut d’une autorité indiscutable :
la volonté supposée du compositeur disparu. L’autorité exercée envers les
artistes, n’est plus seulement théorique, musicologique, elle se fait
coercition symbolique, car « morale ».
Inquiétantes
démonstrations d’infantilisme esthétique ; progrès incontournable dans
l’histoire de l’interprétation : l’attitude des musiciens professionnels
et du public, face aux théories baroqueuses, représente un bel éventail de
passions, de l’adhésion enthousiaste au rejet brutal, en passant par
l’incompréhension et l’ironie. Il faut avouer que cet amalgame de baroqueux
«baroques», «classiques» ou «romantiques» ne facilite rien.
Faisons maintenant
l’état des lieux. En ce qui concerne la musique baroque et classique (école de
Mannheim), les choses sont claires : il est interdit, sous peine de
sarcasmes, sinon d’insultes, dont celle de dinosaure est la plus aimable,
d’utiliser les instruments modernes. Pour le répertoire préromantique et
romantique, on les tolère encore, à la condition expresse, dans Mozart et
Beethoven, notamment, d’en limiter la puissance et la couleur : peu d’archet,
petit son, vibrato, aux cordes et aux vents, le plus discret possible, tuant
net ainsi la sonorité naturelle de grands orchestres prestigieux, justement
réputés pour leur couleur et leur somptuosité instrumentale. Mais là également,
il va de soi que les chemins radieux du progrès amèneront bientôt les
interprètes à délaisser les instruments modernes, au profit des instruments
d’époque. Mahler et Debussy ne perdent rien pour attendre : on annonce des
versions « authentiques » de leurs œuvres symphoniques.
Mais où en est le musicien, dans tout
cela ? On lui présente souvent ces
versions comme un « progrès », s’inscrivant dans une sorte d’histoire
évolutive de l’interprétation, qui aurait émergé peu à peu, tout au long du
vingtième siècle, d’un obscurantisme esthétique, pour parvenir aux lumières
offertes par les « spécialistes » actuels. Elles servent alors de
repère à partir duquel les autres sont jugées en fonction de leurs manques, de
leur « retard » face à une lumineuse avancée de l’histoire, bref,
comme « défaillances » artistiques, tout juste bonnes à susciter
agacement ou pitié. Il est alors indispensable de s’entendre sur la
signification du mot progrès appliqué au domaine musical. S’il implique
une complexification technique du discours harmonique et rythmique, alors oui,
il s’agit d’un progrès : le Sacre est
plus complexe que la Fantastique
elle-même, etc. Si le mot progrès, en revanche, s’applique au désir pour
le compositeur de transmettre des émotions, en utilisant les moyens d’écriture
connus et plus ou moins acceptés par son époque, repoussant ainsi les limites
régulièrement déclarées infranchissables de l’ “inadmissible scandale”, il est
évident que ce mot n’a plus aucun sens. Légitime en écriture musicale, en
facture instrumentale, l’idée de progrès se révèle, en esthétique, et
plus particulièrement en interprétation, totalement illusoire. Elle évoque le
mot cynique que Balzac prête à l’un de ses jeunes dandys des Illusions perdues : « Progrès
: une adorable mystification à faire au bourgeois »[4].
Instruments souvent faux, tempi
inflexibles, phrasés d’une rigidité glaciale, heurtant le goût musical le plus
élémentaire : on avait transformé, au début de l’expérience, l’aridité,
sonore, en porte-drapeau d‘« authenticité ». Ces exécutions, sans
superflu, sobres, “allégées”, parfaites enfin, certains les dirent froides, les
plus sévères, glacées. Il s’agissait de se démarquer, de casser brutalement une
tradition, fût-ce au prix, parfois, de la caricature. Nous n’en sommes certes
plus là, mais le musicien reste bien perplexe devant certains
enregistrements actuels des Partitas de Bach, aux couinements, pitoyables et
disgracieux, dont le seul mérite est d’être « authentiques »,
produits par un violon, un archet et des cordes « anciens » ou
« à l’ancienne ». Comment ne pas sourirait-il pas devant les cuivres
de sous-préfecture que la théorie offre aux opéras de Rameau, de Gluck, devant
les ensembles squelettiques qu’elle réserve à un grand motet de Delalande, aux
symphonies de Benda, de Stamitz, de Richter ?
La doctrine n’hésite pas, d’ailleurs, à
occulter certains faits historiques qui s’opposent à elle. On ne saurait jouer,
par exemple, de nos jours le répertoire baroque pour clavecin que sur des instruments dépourvus du
registre grave de seize pieds, considéré comme excessivement romantique, celui
de Landowska, justement, opposé à l’esprit du monde baroque. Mais comment alors
considérer ces superbes instruments à trois claviers, parfois ? Que faire
du clavecin hollandais, qui se trouve à Edimbourg, à Holyrod castle, et dont
l’étude suggère qu’il s’agit d’un instrument disposant, à l’origine, de ce
fameux seize pieds ? [5]
Un reproche très concret, que l’on peut
adresser aux spécialistes actuels du répertoire ancien, est de noyer celui-ci
sous une véritable uniformisation esthétique : sons blancs,
couleurs à jamais pastel, jérémiade d’archets ostensiblement tirés et poussés,
reprise en écho par les vents, aucune ampleur, jamais de grande ligne, de souffle
musical. Ce nivellement ne fait d’ailleurs qu’amplifier le problème actuel de
la mondialisation des sonorités orchestrales.
Les ensembles spécialisés dans ce retour
radical aux sonorités d’époque, nous semblent bien modestes : cinq ou six
premiers violons, tout au plus. Certes l’intérêt d’une exécution a peu à voir
avec sa puissance sonore, mais puisqu’on vient de mentionner des musiciens
représentatifs de l’école de Mannheim, on lit avec intérêt, sous la plume de
Burney, relatant son voyage musical dans l’Europe des lumières, en 1770 et
1772, que la cour de Mannheim dispose alors de près de cent musiciens et
chanteurs ; que l’orchestre du duc de Wurtemberg, à Stuttgart, n’a pas moins de
dix-huit violons, pour jouer les opéras de Scarlatti, Jomelli, Sacchini.
Remontons d’un siècle, à l’époque baroque. En 1674, Alceste fut créé, à
Versailles, avec quarante-sept musiciens, et le Malade Imaginaire y fut
repris en 1676 avec 51 musiciens. A Paris, on donna en 1705 le Te Deum
de Lully avec trois cents chanteurs, et en 1723, à Prague, pour le couronnement
de Charles VI, on mobilisa cent choristes et deux cents musiciens pour jouer
l’opéra La Costanza e Fortezza de Fux. En 1729, à Rome, on présenta, à
l’occasion de la naissance du Dauphin, l’opéra de Vinci La contestation des
dieux, avec un orchestre de 71 musiciens, dont 30 violons[6]. Circonstances solennelles, exceptionnelles,
dira-t-on, propices à des opulences sonores qui ne l’étaient pas moins. Ce
serait oublier que la fosse d’orchestre du premier grand opéra de Dresde,
construit en 1706, pouvait accueillir pas moins de cent musiciens … [7]
Il n’y a pas loin de Dresde à Leipzig. Les démêlés de Bach avec les
autorités locales y sont célèbres. Celles-ci restant sourdes à ses requêtes
pour remanier les forces musicales dont
il disposait, il décida de présenter, le 23 août 1730, un mémoire comparant
l’état de celles-ci, avec ce qui lui semble souhaitable. Les spécialistes de
Bach considèrent que le terme de musique d’église bien organisée, dont
il qualifie les seize chanteurs qu’il réclame, correspond à son idéal esthétique,
à une sorte de maximum tolérable de somptuosité sonore.
Mais pour cerner les idéaux esthétiques de
Bach, il existe bien d’autres moyens qu’une lecture littérale, quasi
fétichiste, de ce fameux mémoire. Dés qu’il en a les moyens, il n’hésite pas à
renforcer de manière impressionnante les forces dont il dispose habituellement.
Les paroissiens de Saint-Thomas durent sans aucun doute juger inouïes
celles requises par la Passion selon Saint-Mathieu (triple chœur, double
orchestre). La puissance, les bons poumons, qu’il exigeait des orgues
qu’il devait expertiser, en Saxe ou en Thuringe, montre combien le goût de
l’opulence sonore ne lui était pas étranger, démentant ainsi certaines versions
modernes et « authentiques » des Passions ou des cantates. Il avait
été, dans sa jeunesse, émerveillé par les ressources et la puissance des orgues
monumentaux qu'il découvrit à Lübeck, où Buxtehude disposait également d’un
orchestre de pas moins de quarante musiciens, pour les cantates qu’il donnait
dans la série des Abendmusiken. Mais à quels sarcasmes s’exposerait de
nos jours, celui qui oserait utiliser un tel orchestre pour une
cantate baroque ![8]
L’œuvre de Bach, ce miracle le plus
prodigieux de l’histoire de la musique (Wagner) transcende la dichotomie
hédonisme/éthique, que l’on a évoquée au début de cette présentation. Il est
d’usage, en effet, face à un artiste rattaché à la fin du dix-septième siècle,
à la spiritualité, sinon au piétisme, encore intacts, d’opposer une vision
« sécularisée », romantique, de son œuvre, où la sensualité sonore
prendrait le pas non seulement sur le sens de l’œuvre, mais également sur le
message religieux, intimement attaché au texte musical. Mais cette dialectique
semble bien artificielle. Peu de compositeurs autant que Bach surent tirer
partie des moyens dont ils disposaient, mais également des ressources
émotionnelles du langage musical de leur époque. La Fantaisie Chromatique,
la Sarabande de la troisième Suite Anglaise ne le cèdent en rien
à la virtuosité harmonique du Rameau de l’Enharmonique ou du Trio des
Parques. Bach avait une prédilection pour le clavicorde, instrument
permettant, à la différence du clavecin, de transmettre directement aux cordes
les plus petites intentions de dynamique et de vibrato expressif[9]. Sa curiosité l’amena à se pencher sur la facture
instrumentale elle-même (on lui doit deux instruments nouveaux), sur celle du piano-forte,
notamment, que Silbermann lui fit découvrir à Dresde et à qui il suggéra des
améliorations techniques. Bach aurait-il vraiment désavoué la somptuosité
orchestrale proposée par les transcriptions de Mahler, de Schoenberg ou de
Stokowski, les jeux de couleur et l’expressivité d’Horowitz ou de Lipati, dans
un choral, de Benedetti Michelangeli dans la Chaconne de la deuxième suite pour
violon, transcrits pour le piano par Busoni ?
Les écrits d’époque le concernant sont
assez rares pour que l’on se penche avec attention sur ceux dont on dispose.
L’organiste Nikolaus Forkel eut la chance de connaître certains des fils de
Bach, Karl Phillip Emmanuel notamment, avec lequel il eut un échange
épistolaire, en vue justement d’écrire une Vie de Jean Sébastien Bach.
Forkel souligne à quel point son œuvre est bien mise en valeur par les grands
effectifs. Acceptera-t-on de le créditer de quelque objectivité ? Alors
qu’ils dissèquent à l’envi le moindre indice pouvant ressembler à une caution
minimaliste de la sonorité, les défenseurs de l’approche
« authentique » de l’œuvre de Bach s’y refusent. Ils estiment en
effet que Forkel, malgré les témoignages de première main dont il disposa,
aurait écrit son livre, influencé par l’esthétique des Lumières,
laissant la part beaucoup trop belle à une somptuosité sonore dont Bach et son
époque n’auraient eu que faire[10].
Les ensembles d’instruments anciens
utilisent l'archet baroque, ce qui est logique. Différent de l’archet moderne
(établi vers 1770 par le facteur parisien Tourte), par son poids, sa forme et
la tension du crin, il offre, à l’interprète qui le découvre, un nouveau
rapport avec la corde et l’instrument. Les caractéristiques de cet archet ne
lui permettent pas une homogénéisation, un soutien de la sonorité, sur toute sa
longueur, du talon jusqu’à la pointe. Un rythme pointé (noire
pointée-croche, par exemple), est généralement lié, plus ou moins articulé,
avec l’archet moderne. Il est le plus souvent coupé, avec reprise d’archet,
lorsqu’on utilise l’archet ancien. Les traités
de violon de l’époque baroque insistaient néanmoins sur la technique du legato,
sur l’importance de ne pas entendre les changements d’archets, bref, sur ce
même jeu à la corde que nous utilisons dans le répertoire romantique.
Mais les spécialistes actuels de musique ancienne soulignent au contraire que
cet outil est idéal pour interpréter un répertoire dont la ligne mélodique
serait avant tout constituée d’un assemblage de petits éléments, différant, en
cela, de la musique romantique, caractérisée, elle, par de larges plans
sonores. Les interprétations qu’ils proposent se distinguent donc par une
redondance de coups d’archet extrêmement courts, aux articulations toujours
très nettes, aux phrasés impeccablement délimités. Les tenants de cette
esthétique insistent sur la légèreté, la dynamique des sonorités ainsi
offertes, les autres regrettent la monotonie hachée du discours musical. Ils
n’ignorent pas, en effet, que la musique baroque est celle du contrepoint, de
ces longues entrées fuguées qui se cherchent, se fuient, pour mieux se croiser
ensuite. Les chanteurs ne connaissent d’ailleurs que trop les problèmes de
respiration, parfois inextricable, que posent des lignes souvent infinies.
Cette esthétique de l’évanescence, sinon
de l’émacié, propre aux sonorités anciennes, l’hypertrophie du détail, au
dépens du grand souffle musical, tout cela évoque un maniérisme pictural transposé
à la musique, privilégiant en quelque sorte l’art de la décoration sur celui de
l’architecture. Certes fresque et miniature ont-elles chacune leurs mérites.
Mais la faiblesse ou l’indigence, ou plus exactement ce qui, à nos oreilles
modernes, sonne en concert comme indigence, fût-elle historique, n’en a aucun.
Le débat s’ouvre alors, de la perception de l’œuvre d’art, musicale en
particulier, hors de son contexte.
La ritualisation
baroqueuse éloigne l’auditeur moderne de la démarche des compositeurs de
l’époque, qui ne mettaient aucune barrière entre leur public et eux. Bien que
l’équilibre fût instable, sinon, il n’y aurait eu aucune évolution, le
compositeur, l’instrument et l’auditeur étaient en relation d’immédiateté, de
« contemporanéité » les uns par rapport aux autres. La musique du
compositeur maintenant disparu nous replonge dans le passé, car elle utilise
une esthétique et un langage musical qui nous sont plus ou moins lointains.
Mais s’il est impossible de percevoir un chef-d’œuvre dans l’intégralité de sa
signification (heureusement pour les interprètes !), il ne peut réellement
exister qu’un moment juste et un seul, pour le saisir dans la signification
exacte qu’il avait pour son auteur.
Le regard d’un bourgeois d’Amsterdam sur
le tableau que Rembrandt venait de lui livrer, est - ne peut qu’être -
différent du nôtre, car notre sensibilité chromatique a varié : Van Gogh est
passé par là. Il en est de même pour un opéra de Rameau, une symphonie de
Mozart, dont les écritures appartiennent à des contextes qui nous sont
étrangers, et que nous recevons autrement que des auditeurs de 1760 ou de 1785.
Berlioz, Dvořak et Mahler ont créé d’autres sonorités. Le rapport que nous
entretenons avec les créations artistiques du passé est faussé, car
inévitablement anachronique. Walter Benjamin, dans les années trente, avait
développé la notion du hic et nunc, cette
existence unique de l’œuvre d'art au moment où s'exerçait son histoire. Plus
récemment, l’historien de l’art Federico Zeri souligne que la distance
historique qui nous sépare de l’œuvre d’art nous fait immanquablement nous
replier « sur une fausse interprétation de l’œuvre, un succédané, qui
consiste en une lecture fondée non point sur l’œuvre d’art elle-même, mais sur ce que nous voudrions qu’elle soit »[11].
Répétons-le, les recherches baroqueuses
ont eu le mérite de redonner du relief au répertoire ancien, de faire découvrir
des œuvres oubliées. Mais leur mérite s’arrête bien là où commence la
frustration sonore de l’auditeur, en concert. Le disque, en effet, est
totalement disqualifié pour permettre de juger de la valeur réelle d’un artiste
ou d’un ensemble. La simultanéité entre l’essor des théories baroqueuses et
celui du disque numérique est trop remarquable pour être fortuite. La
découverte et les caractéristiques d'un moyen de reproduction sonore, la
"redécouverte" (ou l'invention) de nouvelles techniques
d'interprétation, ont sans doute opportunément rejoint les lois d'un marché
discographique qui saisit là une chance exceptionnelle de se renouveler ou de
se développer. Esthétique et technique se sont mises au service l’une de
l’autre : à techniques nouvelles,
nouvelles sonorités. A l'idéologie « papier glacé » de la technique
répond celle de la scolastique interprétative. Dans les deux cas le support
crée la vertu, il crée surtout de nouvelles réalités fictives. Toute
patine disparaît, d’autant plus que les silences numériques, véritablement
intersidéraux, établissent maintenant des rapports signal/bruit qui décapent
l’horizon sonore de toute velléité de brume[12]. Brillance et contrastes sont les maîtres mots de la
technique, alors qu’aucune salle de concert, fût-elle aussi parfaite que la
Musikverein ou le Concertgebouw, ne peut offrir à l’auditeur une telle acuité.
Mais jamais un moyen technique ne devrait servir de justification à une approche esthétique, surtout lorsque tous deux se liguent pour transformer, en une redoutable inversion, le concert en une reproduction ratée de l'enregistrement. Cette déception évoque celle qui peut suivre la découverte d’un tableau, étudié dans un ouvrage où les couleurs et les contrastes sont excessivement rehaussés par la technique de reproduction. Les premiers à pâtir de ce renversement de valeurs sont, ironiquement, les ensembles d'instruments anciens eux-mêmes, où l'impression flatteuse qu'ils offrent au disque se transforme au concert en pure et simple frustration sonore. Comment l’auditeur reconnaîtrait-il, en effet, dans les sonorités plus ou moins vagues qu’il discerne sur le plateau, l’ampleur du même ensemble, enregistré ? Comment pourrait-il retrouver, dans un tutti orchestral, cette ligne de flûte ancienne, soulignée par le micro supplémentaire que l’ingénieur du son a pris bien soin de placer ? Simple témoignage, à l’origine, de la conception d’une œuvre par un interprète, l’enregistrement est devenu indispensable à la vie même de l’œuvre.
Les spécialistes actuels de la musique baroque
se prévalent de se mettre à son service, de la défendre, de la protéger contre
les déferlements romantiques, contre les débauches de couleur et de puissance
offerte par les instruments modernes. Savent-ils qu’ils sont, dans cette
démarche, en totale contradiction avec les idées esthétiques et philosophiques
qui soutiennent la monde baroque ?
Pour l’artiste classique, l’art ne reproduit pas le visible, il rend
visible. Il
montre moins qu’il ne dévoile. Pour les contemporains de Lully, de Bach, de Haendel,
le véritable artiste, le seul à mériter ce titre, est donc un
« re-créateur ». Le jardin à la française est, en sa belle
ordonnance, plus “vrai” que la nature elle-même, car il permet de révéler cette
perfection même, que la nature ne saurait, seule, atteindre[14]. Une fleur ne sera jamais
autant fleur que savamment mise en scène dans cette vasque de pierre ; la
statue ne sera jamais aussi puissante qu’au milieu de cette place, dans
l’alignement de ces arbres, dans cette niche de charmilles. L’eau ne sera
jamais mieux eau que, lorsque canalisée, domestiquée, elle finira par jaillir
au milieu de cet élégant bassin de marbre, bien plus que lorsqu’elle sourd
“naturellement” du rocher, ce qui, pour un esprit classique, n’est d’aucun
intérêt : l’œuvre d’art est pour lui toujours supérieure à la nature.
Un poème est
plus « vrai » qu’un texte en prose, car il représente un
aboutissement, un idéal de langue. Le mot y est affirmé par une hiérarchie
qu’ignore une prose « naturelle ». Il sera de même révélé par la place que le compositeur
lui assignera dans la mesure, par l’accord dont il l’accompagnera dans le
récitatif. Une modulation sera rendue signifiante
par l’ajout inattendu aux cordes de quelques vents, ou grâce au long repos
tonal qui la précède. Le poète dramatique qui ferait parler ses personnages à
la scène comme ils parlent à la ville, le compositeur qui tenterait de
reproduire très exactement les bruits de la campagne ou la pulsation d’un cœur
ému, tous ces hommes de l’art seraient des copistes, c’est-à-dire des menteurs
: la nature n’étant qu’apparence, celui qui la copie reproduit un mensonge.
Pour ce délit, Platon avait banni l’artiste de sa Cité. C’est le siècle de
Descartes qui l’autorise à y rentrer. Il est en effet devenu l’intermédiaire
indispensable, celui qui permet d'accéder au « sub-lime », de franchir les limites d’une réalité,
pour nous en révéler la vérité.
Sa folie
rationnelle donnait à l’honnête homme
du dix-septième siècle, superbement enfermé dans ses certitudes, l’impression
d’avoir compris le monde, ou du moins d’être capable un jour de le comprendre,
puisque assimilable au mécanisme de la montre qu’il avait dans la poche. Est-ce
illusion que de rattacher à des valeurs quantitatives l’harmonie d’un objet, d’une forme, d’une suite de sons ?
L’interprète pourrait estimer que ces questions n’ont que peu à faire avec ses
préoccupations habituelles. Mais une expérience simple lui permettra de saisir
à quel point, au contraire, elles le concernent, combien, surtout, elles
éclairent le rôle dont il se sent investi face à la partition, ce rôle qu'il a
toujours cru devoir remplir jusqu'à ce qu'une étrange doctrine lui enjoigne de
le mettre en cause. L’évolution de tel ritenuto,
par exemple, lui semble idéale. Il lui est alors facile d'analyser que la
progression du mouvement est régulière, qu’elle suit une équation bien connue,
celle d’un mouvement amorti, sous peine d’un sentiment d’incohérence, rien
moins qu’agréable ni musical. Il découvre la composante rationnelle du
sentiment artistique.
Il est inutile
qu’il plonge plus avant dans l’abstraction. Ce n’est pas parce que des pensées
sont bien structurées, qu’elles créeront un artiste. Sergiu Celibidache ne manquait
jamais de le répéter : avant d’expliquer, d’analyser le phénomène sonore, il faut
le ressentir et faire partager l’émotion de le voir naître, surgir de lui-même.
Ce n’est qu’après cette éclosion libre et naturelle qu’on peut l’observer,
appréhender quelques-uns des éléments qui soutiennent sa beauté.
Lorsqu’il
compose, l’auteur a en lui non seulement la structure, mais bien plus, la
“vérité” de l’œuvre, cette perfection musicale qui le plonge dans le monde de
l'enthousiasme, source du geste créateur. Pour faire exécuter son œuvre, il
recherche les meilleurs instrumentistes, qui disposent eux-mêmes des meilleurs
instruments. C’est à l’interprète qu’il revient de retrouver dans la partition
cette fulgurance, de se rapprocher de cet idéal, de cet enthousiasme même, dans
lequel Platon voyait une des composantes de l’acte interprétatif[15]. Or ces lectures glacialement photographiques, à la
méticulosité quasi obsessionnelle, que les théories baroqueuses offrent de la
partition, cette sorte d’hyperréalisme musical, ignorent le devoir vital, pour
l’artiste, d’échapper à l’objet, à son extériorité, pour n’en rendre, en toute
liberté, que l’émotion qui le lie à cet objet. Elles méconnaissent la dualité
essentielle réalité-idéalité, sur laquelle, répétons-le, repose toute la musique, toute la dialectique baroque. Que
devient, par exemple, la beauté déchirante du final de Didon et Enée de Purcell, si l’interprète oublie que c’est
précisément le mot “déchirant” qui soutient tout ce passage ? Il n’existe pas
de différence, pour un musicien, entre la mort de Didon et celle d’Isolde.
Toutes deux sont grandes et tragiques ; les langages musicaux sont distincts,
mais l’esprit reste le même. Purcell et Wagner ont utilisé ce que leur époque
leur offrait comme moyens les plus émouvants pour les décrire. Ce n’est
certainement pas rendre service à l’œuvre de Purcell que de lui offrir
l’élégance glacée d’un « style » baroco-muséographique,
artificiellement opposé aux déferlements romantiques accompagnant Isolde.
On l’a souligné, nous n’en sommes plus,
heureusement, aux intégrismes des débuts de l’expérience. Certaines
démonstrations de glaciale a-musicalité ont disparu dans le cimetière des
monstruosités esthétiques. L’artiste néo-baroqueux, en ce début de siècle,
n’hésite pas à nouveau à interpréter, à idéaliser la partition, c’est à dire à s’immiscer entre le compositeur et son œuvre.
Mais une contradiction fondamentale lui échappe. C'est en effet au nom,
précisément, du souci très classique de perfectionnement, que les instruments
ont évolué. Cette utilisation de l’instrument d’époque, représente donc la
démarche contraire, exactement, à celle de ses collègues du passé, qui n’eurent
de cesse, eux, d’améliorer des outils dont ils déploraient les limites.
Poussant l’argumentation esthétique jusqu’au bout, on peut donc relever que
celui qui interprète vraiment une œuvre, avec toute sa personnalité, sur un
instrument ancien, est plus illogique encore dans sa démarche que les pionniers
de l’expérience, qui refusaient à la fois les instruments modernes et
l’immixtion de la personnalité de l’interprète dans la partition.
Ce n’est pas la statique qui gouverne
l’histoire de la musique, mais bien la dynamique. Tout mouvement, toute
création, provient d’une insatisfaction, d’un déséquilibre que l’artiste tente
de combler. Si le nouveau “produit” ainsi formé perdure, c’est qu’il aura été
jugé supérieur au précédent, ou plus exactement que ses avantages auront été
jugés supérieurs à ses nouveaux éventuels inconvénients. Sinon, il disparaît de
lui-même : le cor de basset, malgré les lettres de noblesses que Mozart
lui octroya, finit par s’effacer. Le renforcement de la structure des violons
et des altos, à la fin du dix-huitième siècle, afin d’en obtenir plus de
puissance, s’est accompagné d’une indéniable modification de la couleur
instrumentale. Ce que les tenants actuels du violon baroque considèrent comme
un appauvrissement ne le fut pas pour les artistes de l’époque. Un élément
nouveau, s’il offre à l’interprète une plus grande expressivité, entraîne la
mise à l’écart de celui qui le précède. C’est justement cette conception de
l’art, ce « progressisme », que la doctrine baroqueuse juge
excessifs. Seraient-ils en effet beaucoup trop modernes, non applicables au
passé ?
Toutes les découvertes qu’on fera par
le principe des émotions des organes seront des vérités immuables pour tous les
hommes et pour tous les âges[16]. Ces quelques mots de René Estève nous ramènent en
1752. Rameau et son étourdissant Platée triomphent à l’Opéra, et il
s’apprête à remanier, en vue d’une reprise, son Castor et Pollux de
1737. Ces oeuvres justement, qu’on ne saurait maintenant donner
autrement qu’avec violons et vents « baroques », techniques et voix
de « spécialistes », bref, auquel il ne saurait être question
d’offrir la moindre découverte postérieure. Estève fut un de ces
théoriciens de l’art qui tentaient d’établir les canons d’une beauté idéale, de
définir également la place et le rôle de la création artistique dans la société
à laquelle elle est destinée. Cette belle proclamation, qui convie les
musiciens à la conquête incessante de nouvelles terres émotionnelles, est
absolument dévastatrice pour l’idéologie baroqueuse qu’elle pulvérise, ni plus,
ni moins. Anticipant de deux siècles Adorno et son principe d’Unkehrbarkeit, de non retour en
arrière, Estève accueille en effet les instruments et les techniques
d'interprétation du futur, les nôtres, dans le répertoire baroque, le sien. Il
affirme, sans la moindre ambiguïté, combien les musiciens de son temps auraient
apprécié les richesses offertes par nos instruments modernes. Il invite
également les grandes voix modernes, modelées par Bellini, Verdi, Puccini, à se
mettre au service de Purcell, Lully, Rameau, à offrir le plus beau legato brahmsien à une aria de Bach ou de Vivaldi.
Le principe de la relecture
« authentique » déborde de nos jours sur des territoires n’ayant rien
à voir avec le monde baroque, puisqu’il s’agit de jouer par exemple les sonates
de Schubert ou de Schumann, les impromptus de Chopin au piano-forte. La phrase
d’Estève permet au musicien de comprendre pourquoi, à ses oreilles modernes, le
piano forte est condamné
à rester à jamais un avorton, plein de promesses peut-être, mais inachevé,
incomplet, dont le retour ne représente qu’un regrettable appauvrissement de la
sonorité du piano, à l’intérêt tout au plus anecdotique et à la justification
purement intellectuelle. Lorsque Liszt reçoit en 1883 son second Steinway, à la
sonorité bien proche d’un piano de concert moderne, il se montre enchanté de ce
"grandiose chef-d’œuvre de force, de sonorité, de qualités de chant et
d'effets harmoniques parfaits »[17]. On imagine l'accueil qu'auraient reçu certains
piano-fortistes actuels, priant le compositeur-interprète, bien connu pour sa
patience, de se remettre "authentiquement" à l'un de ces pauvres
instruments, pour y interpréter, comme eux, ses premières études de 1826...
Dans son ouvrage
Le Discours musical, Nikolaus Harnoncourt est très sévère envers le
mouvement des Lumières, qu’il rend responsable d’une infantilisation,
d’un abrutissement esthétique dont l’Europe musicale ne se serait jamais
remise. Il est
exact que l’époque des Lumières est celle
de la victoire de la couleur sur le dessin, de l’image sur le mot, du son sur
le sens. Au je
pense donc je suis cartésien succède maintenant je sens, donc je suis, je ressens donc je vis.
Les règles ne
sont plus là que pour permettre de parvenir à la pure jouissance esthétique. « Un concert est pour l’ouïe ce qu’est un
festin pour le goût, ce que les parfums sont pour l’odorat, ce qu’est un feu
d’artifice pour les yeux », écrit-on par exemple en 1769[18]. C’est à cette course effrénée à l’émotion, au plaisir,
à la peinture musicale, puis au mythe romantique de l’interprète tout-puissant,
que l’on devrait cette perte, plus encore que de goût, de sens artistique,
propres à la musique ancienne. Pour être capables d’appréhender ce répertoire,
de retrouver sa signification, il nous faudrait donc, musiciens modernes, selon
les théoriciens baroqueux, effectuer une triple démarche. Accepter d’abord de
remettre en cause une tradition d’opulence sonore, léguée par l’époque
romantique, mais dont les musiciens des dix-septième et dix-huitième siècles
auraient fait peu de cas. Retrouver ensuite, le plus précisément possible, les
principes d’exécution musicale de l’époque ayant précédé celle des Lumières,
condition indispensable pour revenir à la pensée du compositeur. Le tout menant
inéluctablement à l’abandon des instruments modernes.
Mais est-il légitime de dénoncer
l’hédonisme esthétique qui fut celui des Lumières puis, teinté de grandiose et
de patriotique, celui de la Révolution française, pour laquelle
Harnoncourt n’a pas de mots assez cinglants ? Faut-il vraiment stigmatiser
cette course au plaisir, que le siècle se plut à décrire comme « une boule
après laquelle nous courons tant qu’elle roule et que nous poussons du pied
quand elle s’arrête »[19] ? Que recouvraient alors ces agréments que
Lully, Telemann, Rameau laissaient au libre arbitre des interprètes, ces points
d’orgue, ces vocalises infinies, que les chanteurs offraient à leur public,
déchaînant parfois de véritables émeutes ? Quelle notion sous-tend la
richesse d’orchestration, l’ampleur des sonorités que les compositeurs ne
cessèrent de rechercher ; ces dissonances, enfin, dont la résolution est
attendue, différée, puis offerte, agacements artistiques dont les compositeurs
de l’époque baroque ne furent jamais avares ? Il s’agit bien d’un plaisir,
d’une jouissance, la leur, et celui du public auquel ils voulaient, ils
devaient plaire. La recherche du plaisir auditif est aussi ancienne que
la musique elle-même : peut-être est-ce le moteur principal de son
histoire.
Les théoriciens baroqueux estiment que le
discours musical baroque faisait peu de cas de la peinture musicale, prisée par
le siècle des Lumières, de plus en plus, au fur et à mesure que l’on se
rapproche du romantisme. Mais de même que les vitraux d’une cathédrale gothique
racontaient en images ce que les fidèles ne pouvaient lire, pourquoi ne pas
envisager que Bach, par exemple, cherchait, dans ces représentations
musicales que sont ses Cantates, ses Passions, à raconter musicalement,
c’est-à-dire à dépeindre, à émouvoir, autant qu’à solliciter
intellectuellement ? Dans la troisième version de la Passion selon
saint Jean, il avait prévu une sinfonia, hélas perdue, pour décrire,
au moment de la mort du Christ, le rideau du temple qui se déchire, le
tremblement de terre, les tombeaux qui s’ouvrent. Tableau sublime et puissant,
mais en quoi Bach, musicien baroque diffère-t-il, alors, de Beethoven
peignant, dans toute la fougue de son romantisme, l’orage de la Pastorale ?
Qu’auraient donc égaré les musiciens que
les théories baroqueuses leur permettrait de retrouver ? En quoi réside
cette perte de repères, sinon du goût artistique, dont l’invitation au plaisir
offerte par le mouvement des Lumières aurait été le terrible responsable ?
Quel hédonisme vulgaire, quel désastre auraient frappé la musique, vers la fin
du dix-huitième siècle, justifiant, pour revenir aux œuvres de l’époque
baroque, de tenir pour nuls et non avenus les perfectionnements instrumentaux,
les techniques d’exécution, dont nous sommes redevables à l’esthétique des
Lumières ? Démentie par l’esthétique du monde baroque, mise à mal par le
siècle des Lumières, que reste-t-il alors des deux cautions dont se prévaut
l’idéologie baroqueuse ?
APPROPRIATION
L’interprète est-il à proprement parler un
créateur, dont on attend qu’il s’approprie la partition pour l’exécuter
comme il l’entend ? Est-il, au contraire, plus discrètement, un
technicien, chargé de restituer sobrement un texte musical considéré avant tout
comme objet esthétique du passé, et dont la puissance émotionnelle ne serait
plus l’élément prioritaire ? On entend parfois comparer les relectures
baroqueuses de la musique à la restauration d’un tableau, au nettoyage d’un
bâtiment ancien, réapparaissant alors dans leur beauté initiale. On va même
jusqu’à évoquer l’idée d’une musique enfin débarrassée des souillures du temps,
décapée[20]. L’image est vigoureuse, mais a-t-elle un sens ?
Peut-on assimiler la restitution “authentique” d’une partition avec la
restauration d’une façade baroque ?
Monteverdi a écrit l’Orfeo, Racine a écrit Phèdre : est-ce un opéra, est-ce une tragédie ? Oui, mais
qu’en reste-il si ces œuvres ne sont pas jouées ? Elles sont, mais n’existent pas, si le mot « exister »
signifie, pour une œuvre d’art, transmettre une émotion à quelqu’un. Une
partition ne devient musique qu’entre les mains de l’interprète ; elle ne
devient véritablement musique
qu’entre les mains d’un bon
interprète qui fait vivre l’œuvre, la fait parler. Le texte musical
devient alors discours musical. L’interprète est donc, au même titre que
le compositeur, le maître de l’action de la musique sur l’auditeur. Berlioz est parfaitement
explicite : il estime qu’un interprète,
qui n’a pas du talent mais du génie, crée comme l’auteur fit en composant[21]. Interpréter, c’est traduire ; traduire, c’est
mettre en scène. Le vrai traducteur doit se faire le poète du poète ; il doit se faire
l’artiste lui-même[22]. Novalis propose là une
superbe définition de l’interprète. Elle va totalement à l’encontre de la
dogmatique baroqueuse.
Alfred Cortot
détestait l’idée d’œuvres « poubelles autobiographiques ». Le grand
pianiste avait tort, car elles le sont nécessairement, non pas lorsqu'elles
décrivent, d’une manière un peu indiscrète, les Episodes de la vie de l’artiste,
mais en ce qu’elles sont le symbole de la personnalité de celui qui les
écrit. Pourquoi Monteverdi s’enthousiasma-t-il pour la belle histoire d’Orphée
et d’Eurydice, Berlioz pour celle de Didon ? Pourquoi l’éternel dialogue entre
Moïse et Aaron n’a-t-il jamais été aussi génialement soutenu que par Schoenberg
? Lorsqu’un pianiste, également, s’attache à la sonate op. 111, à tel concerto de Bartók, c'est que les supports
choisis sont en harmonie, en résonance avec lui-même : pour Schopenhauer, « la musique fait le bruit de l’être ». Un
lien extraordinairement puissant, indestructible, s’établit alors entre le
texte musical et l’interprète. Il arrive, tout naturellement, qu’il soit tenté
de présenter sa Fantaisie-Commentaire sur un thème fourni par le
compositeur. Faut-il le lui reprocher ?
C’est la
condition, indispensable, pourtant, à laquelle la pensée du compositeur et
celle de l'interprète se mêleront intimement pour créer la musique, cet idéal de forme et d'expression, ce point aveuglant
où l’intuition rejoint la raison, comme deux ondes fusionnent et font naître
une structure géométrique parfaite. En cela, l'interprète rejoint le
compositeur, l'appropriation de l’œuvre par l’exécutant n'est que superficielle,
et la hardiesse initiale du propos s'atténue. Mais c’est également dans cette
incapacité ou dans ce refus à idéaliser le texte musical, par appropriation, ou
par l’emploi des instruments modernes, que la doctrine baroqueuse se révèle
profondément anti-artistique.
Du compositeur
ou de l’interprète, lequel est alors au service de l’autre ? Question
légèrement provocatrice, mais dialectique primaire. L’interprète n’est pas au
service de l’auteur, il est au service de la partition. La notion d’arbitraire,
bien loin d’être un reproche, est au contraire un compliment rendu à son
originalité. Que l’on souscrive ou non à ses choix esthétiques est sans
importance. Ce qui compte, c’est qu’il dispose encore de ces choix. Sont alors
réconciliées méthode classique et hyperbole romantique, car elles ne sont que
les deux aspects du but suprême de l’interprète : la mise en valeur de l’œuvre,
pour son plaisir, et celui de l’auditeur.
Assigner à l’interprète le rôle de
restaurateur de notes est prendre une grave responsabilité, car ce blocage
esthétique agit d'abord en amont de l'artiste, sur sa relation avec le texte
musical : on le transforme en duplicateur. Mais c’est peu de choses au regard
de l’action de ces théories en aval de l'interprète, en ce qu’elles modifient
la relation naturelle entre l’œuvre et son destinataire final, l'auditeur. Le
dogme baroqueux se montre là particulièrement pesant.
On peut comparer l’action de la musique
sur l’auditeur à celle, lorsqu’un texte est mis en musique, à l’action de la
musique sur le mot. Comme par magie, elle prend possession du mot. Elle
l'amplifie, l'élargit à une dimension que seul, il n’avait pas, ou ignorait
qu’il avait. Selon la belle expression de Bachelard, elle laisse le creux
des mots résonner d’associations oubliées. La musique transporte le mot de
l’intellectuel au sensible ; elle mène l’auditeur, parallèlement, du réel
à l’imaginaire. Elle lui permet surtout de se retrouver lui-même. Le but de
l’artiste est de réunir l’idée avec l’image : l’œuvre d’art est une émotion
matérialisée par des mots, de la matière ou des notes[23]. Celles-ci, moins que repères, sont des signes ; la
partition, moins que contrainte, est donc symbole. Elle est aussi peu l'émotion
qui a touché le compositeur, que le mot n’est le concept ou l’objet auquel il
se rapporte. La force de la musique réside justement dans sa capacité à
ramener, concept inépuisable, prospectif, toute recherche d’émotion à
une idée, c’est-à-dire à un germe d’infinitude, et non à se limiter à une
réalité par essence bornée. Pure abstraction, elle représente le point de
passage, la surface de contact entre le monde symbolique du compositeur, celui
de l’interprète, puis celui de l’auditeur.
Le chef-d’œuvre est toujours allusion à autre chose : il est catharsis. Le terme est habituellement
réservé, dans son acception aristotélicienne, à l’œuvre théâtrale, cette
iconographie conceptuelle permettant une purgation libératrice de passions dont
le spectateur verrait les dangers représentés sur scène. Mais l’étymologie du
mot laisse entendre également l’idée plus générale de clarification. Si
l’œuvre d’art est en effet l’image d’un affect personnel, d’un pathos que son créateur tire vers la
lumière, elle amène également l’interprète ou l’auditeur à tirer de lui, par le
processus exactement inverse, une somme d’émotions qui lui sont propres, et
n’ayant sans doute rien en commun avec celles qui ont permis le processus
créatif. Autant qu'écouter l’œuvre, celle-ci lui permet de s'écouter lui-même.
C’est sans doute cette unité dans la diversité, qui rend pendant le concert,
tellement prenant, “habité”, le profond silence de la foule assemblée, et dont
les musiciens, sur le plateau, aiment à ressentir toute l’intensité.
La musique sait en effet extraire de
régions secrètes des émotions latentes et d’autant plus puissantes qu’elles
sont primordiales et universelles.
Par harmonie, par accord, le génie de quelques
compositeurs réside en leur capacité à faire éclore tout un monde oublié, mais
toujours prêt à resurgir à l'appel d'une mélodie, d'une couleur ou d'un timbre,
dont nous reconnaissons l’image, selon la belle expression de Rousseau.
Un siècle plus tard, Freud pourra entrer en scène.
C’est une des caractéristiques du
chef-d’œuvre, que d’échapper à son créateur et d’être universel et intemporel.
Si son langage date immanquablement le texte musical, son esprit, en
revanche, rétablit la proximité qui existait avec les auditeurs de l’époque.
Mais les instruments anciens, eux, éloignent l’œuvre de nous, la
« vieillissent » artificiellement. En s’interdisant d’agir exactement
comme les artistes de l'époque du compositeur, c’est-à-dire d’exploiter au
mieux des moyens contemporains, on
renvoie l’œuvre à un passé cette fois définitif. Bien loin de la faire revivre,
on ne fait au mieux que l’embaumer, ce qui revient à la trahir.
On peut considérer toute œuvre non
contemporaine comme ancienne, et la vénérer comme telle. Combien plus stimulant
au contraire, est d'envisager que le chef-d’œuvre ne saurait vieillir, et que,
contemporain il y a deux ou trois siècles, il le demeure également pour nous.
Loin de devoir exagérer l’historicité du discours musical, l’interprète doit
bien au contraire, s’attacher à l’atténuer, à transférer la partition du temps chronologique au temps mythique, pour citer Bruno
Bettelheim et sa Psychanalyse des contes de fées. Lorsque le fait
historique évolue en légende puis en mythe, cette transformation nous en
apprend plus sur l’homme lui-même que sur l’histoire. Moins que d’une
évolution, il s’agit en effet d’une projection. L’homme s’empare d’une donnée,
plus ou moins historique, l’idéalise, puis l'érige en symbole universel,
reflétant ses rêves, ses interrogations, mais aussi, plus profondément encore,
l’essence même de son être.
Dans un texte superbe, l’Homme nu,
l’anthropologue Claude Lévi-Strauss évoque l’association cathartique
mythe-musique. « La mythologie et la musique ont ceci en commun qu’elles
convient l’auditeur à une union secrète, avec toutefois cette différence, qu’au
lieu d’un schème codé en sons, le mythe lui propose un schème codé en images.
Dans les deux cas, c’est l’auditeur qui investit une ou plusieurs
significations virtuelles dans le schème ». De même que le conte ou le
mythe, reflet immémorial d’inconscient collectif, moins le discours musical,
acte de symbolisation issu du plus profond de l’inconscient du compositeur,
sera repéré chronologiquement, plus il sera puissant, émouvant, plus il permettra au processus d’identification de
l’auditeur de se mettre en marche[24]. Affubler la partition d’oripeaux temporels précis,
robes à paniers, talons rouges, redingotes, crinolines, c’est lui assigner par
tout ce fatras un simple rôle de témoin historique. Une preuve, en art, est
introuvable : le domaine de l’art, ce
n’est pas l’absolu, mais le possible. Ce qu'on ne peut donc appeler une
démonstration, tout au plus une suite d'observations que tout artiste peut
faire, permet d’évaluer la puissance exorbitante que s’autorise l’idéologie
baroqueuse, que s’arrogent ceux qui se placent au travers du chemin de
l’interprète. Ils interfèrent directement avec ce que l’auditeur possède de
plus intime : les sensations, les émotions que la musique fait naître en lui.
Ce n’est pas vers la science, vers
la théorie historique, que se tourne l’interprète véritablement musicien. C’est
vers le plus infaillible des guides : son instinct, c’est-à-dire ce que
le texte lui suggère, les impressions qu’il éveille en lui. Schlegel, souligne
bien, dans son Cours de littérature
dramatique, que dans l’empire des beaux arts, toutes les véritables
règles sont (...) déterminées par le sujet de l’œuvre. Elles manifestent
l’essence intime de l’objet auquel elles appartiennent. Pour Engel, de
même, on observe dans tous les arts que la théorie sert moins à
perfectionner les ouvrages que ceux-ci ne servent à déterminer la théorie[25].
A l’intérieur d’un ambitus plus ou moins
large, le tempo d'une gigue de
Rameau, d’une sarabande de Bach, d'un allegro
de Mozart ou d'un scherzo de
Beethoven, est inhérent au texte musical, c’est-à-dire à l’impression que
l’œuvre produit à un moment donné, en un lieu donné, sur l’interprète. Les
menuets des troisième et cinquième Symphonies de Schubert sont de beaux
exemples de relation de tempo, indiquée par l’écriture elle-même.
Autant les menuets sont énergiques, marqués, aux articulations précises et
accentuées, autant les trio
sont de belles valses lentes, de merveilleux Laendler. Bien que Schubert ne donne aucune indication, ce serait
d’une insigne barbarie que de conserver le même caractère pour les deux fragments.
L’intuition rejoint d’ailleurs la théorie. Nikolaus Harnoncourt, dans son
analyse du menuet de la Symphonie en Sol mineur de Mozart,
parvient exactement à la même dichotomie historico-musicologique menuet-trio, que l'on peut sans crainte opposer stylistiquement l'un à
l'autre[26]. Que penser alors de tous ces ouvrages, qui, de nos
jours, proposent mille théories, fort savantes, concernant par exemple les
tempi historiques, « authentiques », dans Bach, Mozart,
Beethoven ? A Rome, Berlioz et Mendelssohn aimaient à se retrouver pour
discuter musique. Leurs avis divergeaient, parfois, mais ils s’accordaient sur
un point, que Berlioz rapporte dans ses Mémoires : le musicien
qui, à l’aspect d’un morceau, n’en devine pas […] le tempo, est une ganache[27].
Les règles sont déterminées par l’œuvre, et non le contraire. De même qu’un langage musical
devient stérile lorsqu’il n’est qu’un système, il n’existe aucun art
de jouer Bach, Mozart, Berlioz. Ramener la musique baroque à une suite de
pulsations, de points d’appuis, est aussi simpliste que de résumer la musique
romantique à un enchevêtrement de larges plans mélodiques. C’est pure
rhétorique, que d’opposer l’articulation d’une ligne wagnérienne à celle d’un
concerto pour violon de Vivaldi. Un passage sera soutenu, un autre, allégé.
Telle phrase de violon ne saurait supporter un changement d’archet ; à
telle autre, un archet très court sur chaque note d’une structure rythmique
bien particulière offrira une merveilleuse vitalité. Une hémiole chez Dvorak ou
Debussy a la même signification que chez
Monteverdi, Bach ou Telemann.
Ce sont également les caractéristiques de
tel ou tel passage, qui permettent à l’interprète de doser son vibrato,
d’adapter la couleur de son instrument ou de son orchestre, ce qui ramène au débat
sur les instruments anciens. Certains traits, certains arpèges, sont plus
facilement exécutables avec l’archet baroque qu’avec l’archet moderne. Mais ce
n’est pas en fonction de son « confort » que l’interprète décide quel
instrument, ancien ou moderne, lui convient le mieux pour jouer le répertoire
baroque. Il doit en effet choisir, en véritable musicien, celui qu’il estime le
plus apte à servir tous les effets, sans exception, proposés par la texture et
le sens qu’il donne au texte, c’est-à-dire aux émotions que ce texte éveille en
lui. Comme ses collègues du passé, comment, lui aussi, ne se déciderait-il pas
en faveur de l’instrument dont leur insatisfaction provoqua peu à peu
l’émergence : l’instrument moderne ?
L’œuvre d'art complète que représente un opéra repose
sur un paradoxe. Le livret, en effet, de point de départ, de centre, s’y
fait rapidement absence de l’œuvre (Pierre Boulez). Le texte devient prétexte :
une bonne musique sauve toujours un texte faible, jamais le contraire. Il ne
faudrait pas que l'interprète se sente prisonnier de deux tendances opposées
mais ayant en commun d'opérer une dissociation artificielle entre texte et
musique. Certaines versions des opéras de Mozart, par exemple, purement
"sensualistes", sinon sirupeuses, en quelque sorte le beau son pour
le beau son, sont bien passés de mode. Mais celles proposées maintenant, en
réaction, justement, à ces interprétations, et qui se prévalent d’une caution
« scientifique » pour transformer l’œuvre en démonstration d’historicité,
en fait roideur et inflexibilité, sont aussi insupportables à des oreilles de
musicien que celles contre lesquelles elles sont parties en guerre.
Chez Mozart, la dynamique interne du
discours musical demeure toujours en accord
avec la fluidité de la langue parlée, pulsation simple et naturelle, tempo andante qui peut servir de base à
la construction des autres tempi.
Le texte représente donc un guide sur lequel peut compter l'interprète, et lui
permet d’ignorer superbement de théoriques “règles d’interprétation
mozartienne”. Il doit avant tout se soucier que les phrasés, les tempi,
s'accordent avec un texte devant concourir au plaisir de l'auditeur. Outre sa
fraîcheur et sa spontanéité, l’air y retrouve sa concision, son intelligence,
et l’œuvre reconquiert, dans son ensemble, une unité rythmique, une théâtralité
due à la cohésion émotionnelle et sémantique entre discours musical et discours
littéraire.
Au-delà des questions de tempo, certains
« spécialistes » proposent des versions vraiment radicales de ce
répertoire, mais de Gluck, ou de Haydn, également, en ce qui concerne les
phrasés, les coups d’archets, les respirations. Les témoignages quant à
l’ampleur instrumentale et aux techniques d’exécution que le début du
dix-neuvième siècle offrait à tout ce répertoire, c’est à dire influencées par
l’esthétique romantique, ce repoussoir absolu aux yeux des théoriciens
baroqueux estimant devoir apporter leurs lumières à l’œuvre de Mozart,
reprennent pourtant mot pour mot, parfois, ceux que les critiques utilisaient,
soixante ans auparavant, pour saluer
les qualités de l’orchestre parisien du Concert Spirituel.
Cet ensemble, pour lequel Mozart écrivit la Symphonie Parisienne K.V.
297, notamment, l’avait rempli d’admiration, comme tous les musiciens
étrangers qui se pressaient alors à Paris. Ces témoignages cautionnent-t-ils le
froid dogmatisme rénovateur à la mode actuellement dans ce
répertoire : archet ancien, coups d’archets de viole de gambe, phrasés très
courts, peu de vibrato ? Justifient-ils la confidentialité des petits
ensembles maintenant « spécialisés » : rarement plus de vingt ou
trente musiciens ? L’orchestre du Concert Spirituel disposait de 65
exécutants, dont 12 premiers violons… Il ne fait aucun doute que, bien souvent,
Mozart, lors de ses voyages, devait se contenter d’inquiétantes maigreurs
musicales. Est-ce une raison pour le condamner encore au même traitement ?
Lorsqu’il se réjouit,
dans une lettre à son père, d’avoir eu à sa disposition, pour un concert,
40 violons, 10 altos, 8 violoncelles, 10
contrebasses, et dont tous les vents étaient doublés, il se plait sans doute à
évoquer un fait trop rare[28]. Mais qui, de nos jours, oserait doubler les vents
dans une symphonie de Mozart, et y requérir 10 contrebasses ...?
Un autre aspect de l’interprétation du
répertoire classique est trop souvent malmené par les tenants d’une rigueur
“authentique”, mais terriblement restrictive. Il s’agit de cette absolue
nécessité, pour l’interprète, de savoir gérer le phrasé, la respiration
musicale, c’est-à-dire la délicate modulation de tempo qui par endroit ponctue la phrase et lui permet de
reprendre souffle. Comme en harmonie, le mot “emprunt” serait ici plus juste
que celui de modulation, en ce qu’il définit, mieux que la conquête d’un
nouveau territoire, une furtive incursion dans une tonalité nouvelle, dans un tempo nouveau. Là aussi, on déplore
que cette liberté qu’on laisse à la phrase de s’épanouir, parfois de se
reposer, puisse être assimilée à un manque de rigueur. C’est sans doute la
raison de la froideur dégagée par certains enregistrements actuels, caricatures
tragiques, éclatantes démonstrations d’a-musicalité, où la rigidité
métronomique est promue au rang de vertu cardinale. Dans une terreur panique de
voir la phrase musicale simplement se détendre, le chef-théoricien ne considère
plus l’orchestre comme une base harmonique sur laquelle le chanteur peut
s’appuyer, mais comme un fouet qui le harcèle, transformant l’air de Pamina en
valse, et celui de Sarastro en polka. Comprendra-t-on un jour pourquoi Mozart
représente, plus encore que la pierre de touche, le pont aux ânes de la
musicalité d’un interprète ?
Si les
atrophies muséographiques sont dénuées de légitimité pour le répertoire classique, leur intrusion
dans la musique romantique les éclaire en tout cas
d’un jour doublement cruel :
esthétiquement et intellectuellement. Il est indiscutable, comme le soulignent à l’envi
leurs défenseurs, que nos références sonores sont ancrées dans une tradition
issue du Romantisme. C’est justement l’objectif des thèses baroqueuses que de
délivrer le répertoire ancien de cette prison dans laquelle elles l’estiment
enfermé ; de lui épargner les lourdes sonorités, les pesanteurs offertes
par des artistes soucieux avant tout de richesse instrumentale et d’émotion, de
retrouver un style, enfin, que des Lumières trop intenses avaient
jeté dans l’ombre. Fort bien. Mais que viennent faire, alors, ces théories dans
le dit répertoire romantique ?
Que les
« spécialistes » qui estiment devoir apporter leurs lumières à telle
ou telle tranche de l’histoire de la musique, cessent en effet toute ingérence
sur un territoire où leur prétendu savoir-faire prend le visage de l'imposture
: l'idéologie baroqueuse transforme le rêve romantique en cauchemar puritain.
L’exemple le plus caricatural est celui de Berlioz. Le critique viennois
Edouard Hanslik ne s'y était pas trompé, qui comparait l'évolution de Mozart à
Beethoven à celle qui fit passer de Beethoven à Berlioz. Ni Schumann, ni même
le merveilleux harmoniste qu’est souvent Chopin, n’ont été si loin dans
l’audace que le jeune Berlioz. Dans la Symphonie Fantastique, par
exemple, certaines trouvailles sont tout simplement stupéfiantes pour l’époque.
Il apparaît comme le point d’origine de
toutes les préoccupations qui marquent la musique de notre temps. Dans
l’extraordinaire dépouillement de l’Epilogue
de l’Enfance du Christ, aux unissons
et aux silences vertigineux, l’abolition de la tonalité, au début de ce
fragment, évoque les éléments d’une série dodécaphonique, exposés dans toute
leur nudité : intense émotion, sublime économie de moyens. Nous sommes là “dans
un espace qui ignore la pesanteur et un temps qui ignore la conscience du temps
[...]. Nous sommes dans un instant sans durée”[29]. Ce qu’André Boucourechliev évoquait à propos de
l’extrême concentration de la pensée de Webern, est applicable, mot pour mot, à
ce court fragment, … écrit en 1850. Son originalité, son ouverture d’esprit et
sa quête, surtout, d’absolu esthétique, ouvrirent à Berlioz, il y a longtemps
déjà, les portes du plus beau des Panthéons : l’imaginaire des artistes.
On reste alors interdit devant
l’obscurantisme esthétique de ceux qui ne veulent pas offrir nos instruments
modernes à un Berlioz qui n’a jamais cessé d’appeler de tous ses vœux la
création d’instruments toujours plus puissants, plus riches, et même nouveaux
(le Saxophone), au service d’artistes libres d’être libres. On
rêverait de lire le chapitre ravageur et les noms d’oiseaux qu’il n’aurait pas
manqué de réserver à ces dignes héritiers modernes de ses chers “Grotesques de la musique”, qui le
sacrifient sur l’autel du marketing.
Conclusion.
La mode actuelle pour le répertoire
baroque est impressionnante. Elle est explicable, d’abord par la beauté de ce
dernier. Mais il sert sans doute également de refuge à un public mélomane lassé
de toujours entendre les mêmes grandes œuvres du répertoire romantique, et se
sentant parallèlement abandonné par la création contemporaine, perçue comme
excessivement difficile d’accès. Proche de celui des siècles passés, le public
désire, avec raison, de la nouveauté ou quelque chose qui en tienne lieu.
Paradoxalement, ce sont les couleurs dont les théories baroqueuses peignent
maintenant le répertoire, qui donnent cette impression d'inédit, ce qui permet
de joindre le prestige de l’ancien au plaisir de la nouveauté, mais sans le
risque et la fatigue intellectuelle de la modernité.
Ces théories reposent néanmoins sur de
bien inquiétantes faiblesses, puisqu’elles sont contredites par l’époque même
qu’elle se prévalent de servir. En 1725, Quantz, déjà célèbre flûtiste, était à
Naples, et priait son ami Hasse de le présenter à Scarlatti. Celui-ci refusa
plusieurs fois : « vous connaissez mon aversion pour les instruments
à vents, ils ne sont jamais justes »[30] . Mais Scarlatti avait tord, puisqu’il s’agit
bien de ces mêmes flûtes, hautbois et autres bassons baroques, que les
spécialistes baroqueux sortent maintenant des musées et parent de toutes les
vertus… Faiblesse de leurs théories, mais incohérence,
également : elles refusent une évolution instrumentale, mais ne peuvent
survivre que grâce aux techniques discographiques les plus modernes. Elles ne
respectent en rien la volonté des compositeurs et se révèlent brutalement
indiscrètes par rapport à l’auditeur. Elles sont agressives, également :
William Christie ne vient-il pas d’affirmer à Paris que l’exécution de la
musique de Rameau devait être exclusivement réservée aux spécialistes[31] ? Il ne faut néanmoins se faire aucune
illusion : soutenues par d’énormes intérêts marchands, elles ont sans
doute quelques beaux jours. Les arguments les mieux étayés resteront bien légers face à une adhésion
purement irrationnelle ou médiatique aux théories baroqueuses. C’est
logique : la raison artistique se passe de raison(s).
Les musiciens se dédiant au répertoire
baroque firent de superbes découvertes, qui récompensèrent leurs recherches
musicologiques. Mais il s'agit parfois de convoquer le ban et l'arrière-ban
d'obscurs maîtres de chapelle, de tirer d'une juste poussière de mortelles
cantates, d'insipides oratorios. Discours mélodique et harmonique
rudimentaires, enchaînements de formules stéréotypées : le répertoire baroque
deviendrait-il, nouvelle marchandise culturelle, la caution d’élégance pour des
goûts musicaux simples ? L'intérêt que l'on porte à ces œuvres, ainsi que leur
médiatisation outrancière et quelque peu agaçante au regard de leur indigence,
demeurent à bon droit incompréhensibles aux musiciens. Les théories baroqueuses
s’inscrivent-elles dans le regard que notre monde poserait maintenant sur
l’œuvre d’art, où l’érudition du spécialiste substitue[rait] ses hypothèses à la sensation, sa mémoire prodigieuse à
la présence de la merveille, pour reprendre la belle expression de Paul
Valéry ? On souhaite, en tout cas, que ce monde ne devienne jamais celui
où les mots musique, interprétation et artiste, signifieraient sonorités
permises, reconstitution historique et spécialiste en authenticité.
Toute bonne interprétation d’une œuvre
ancienne doit réussir la conciliation de la pratique musicale du temps et de la
sensibilité de l’auditeur d’aujourd’hui, en sauvegardant ce qui est essentiel
dans l’une et dans l’autre[32]. Lorsque l’instrument a disparu au cours des siècles
(certains instruments médiévaux, par exemple, ou de la Renaissance), il est
bien sûr légitime de retrouver ces timbres originaux. Mais s’il n’a fait
qu’évoluer, se perfectionner, aucun argument musical ne justifie un retour
définitif à l’instrument ancien. Approche musicologique de la sonorité, il ne
peut, au mieux, que représenter une option esthétique, parmi d’autres.
Quoiqu’il en soit, les musiciens ne peuvent accepter le processus de
détournement émotionnel, donc de falsification de l’œuvre, que leur impose
l’idéologie baroqueuse. Les Indes
Galantes sur instruments anciens ne sont pas une merveilleuse fantaisie,
nulle part entre Turquie et Pérou, c'est une démonstration de musicologie. Le Requiem de Mozart ou de Brahms, sur
instruments "d'époque" n’est plus une grande prière émouvante, c’est
devenu un repère chronologique. Insister sur l’âge du chef-d’œuvre, est priver
l’auditeur de sa liberté fondamentale de voyager, pendant le concert, aux lieux
et temps qu’il lui plaira. Le théoricien impose, l'artiste propose.
Les arguments exposés dans ce texte sont développés dans Les
Baroqueux ou le Musicalement Correct, Jean-Paul PENIN, Paris, Gründ, 2000.
[1] Nikolaus Harnoncourt, Die musikalische Rede, Der musikalische Dialog, Residenz Verlag, Salzburg und Wien, 1982, 1984. Le Discours musical, Le Dialogue musical, Monterverdi, Bach et Mozart. trad. D. Collins, Paris, Gallimard, 1984 et 1985.
[2] René Leibowitz Le compositeur et son double, Paris, Gallimard, 1971, p. 35-47 (pour une éthique de l’interprétation musicale).
[3] « A l’ère baroque, la notion de beauté sensuelle était moins développée qu’aujourd’hui ». Stanley Sadie, Guide de la musique baroque, sous la direction de Julie Anne Sadie, Paris, Fayard, 1995, p. 626.
[4] H. de Balzac, Illusions perdues, p.p. P. Berthier, Paris, Gallimard, Folio, 1974, p. 378.
[5] Selon Grant O’Brien, Conservateur de la collection Raymond Russle, de l’université d’Edimbourg, et spécialiste des instruments de Ruckers, cet instrument aurait été amené par Guillaume d’Orange au moment de son mariage. Il semble que la personnalité, puissante, de Wanda Landowska, ait indisposé un certain nombre d’artistes autour d’elle, même s’ils admiraient son talent. Ralph Kirkpatrick est notamment de ceux-là, et par suite, certains de ses élèves. Certaines prises de positions esthétiques actuelles face au répertoire baroque semblent en fait découler de simples considérations humaines, trop humaines.
[6] Charles Burney, Voyage musical dans
l’Europe des Lumières, Paris, 1992, Harmoniques, Flammarion, p. 428. Lecerf
de la Viéville, Comparaison de la musique italienne et de la musique
française, Bruxelles, Foppens, 1704, cité par E. Borrel, l’Interprétation de la musique française, Paris, Félix Alcan, 1934, p. 43.
[7] Charles Burney, op. cit., p. 384.
[8] Les premières cantates que Bach écrivit, trois ans après son retour de Lübeck, BWV 4 (Christ lag in Todesbanden), 71 ( Gott ist mein König), 106 (Gotteszeit ist die allebeste Zeit), sont proches du modèle de Buxtehude.
[9] On retrouve le principe du Bebung, le tremblement, préconisé plus tard par son fils Karl Philipp Emmanuel, en pleine esthétique des Lumières.
[10] « Forkel court souvent le danger d’interpréter les sources qu’il possède dans l’optimisme d’un romantisme naissant. Il convient de faire toujours la différence entre les faits objectifs et son interprétation ». Préface à l’ouvrage de Forkel, Paris, Flammarion, 1981, p. 14. C’est l’auteur qui souligne.
[11] Federico Zeri, Derrière l'image, conversations sur l'art de lire l'art, Paris,
Rivages, 1988, p. 32., op. cit., p. 141-142.
[12] L’effet de "vide émotionnel" est d'ailleurs renforcé par le processus de compression numérique, « nettoyant » un peu drastiquement des « superflus » peut-être utiles, et plus encore sur les serveurs remplaçant maintenant le support CD. "Les sons les plus délicats, qui frappent notre oreille bien à propos, ne sont que la millième partie de ceux que nous écoutons intérieurement". W. Landowska, Musique ancienne, avec la collaboration dee M. Henry Lew-Landowski, Ivréa, Paris, 1996, p. 62.
[13] Descartes
n’a pas établi de traité d’esthétique. Selon Emile Krantz (Essai sur l’esthétique de Descartes, Paris, Germer-Baillère et Cie,
1882), la doctrine classique s’est constituée de son temps ou après lui, au gré
des travaux de ses continuateurs, délibérés ou inconscients : Boileau,
d'Aubignac, Racine, le Père André, etc.. Gustave Lanson a contesté ce point de
vue dans Philosophie cartésienne et
littérature, Paris, Champion, 1930. Catherine Kintzler, quant à elle,
propose la voie médiane d’un « Descartes emblématique et régulateur, et
non [...] constitutif et doctrinal » (Poétique
de l’opéra français, de Corneille à Rousseau, Paris, Minerve, 1991, p.
525).
[14] Il s’agit en
quelque sorte d’une sublimation de la nature par l’intellect, comme le jardin
japonais peut être vu comme une sublimation de la nature par le spirituel.
[15] « Au concert, je ne sens jamais le contact avec le public. […] La passion, c’est primitif. L’enthousiasme, c’est le chaos ». Gustav Leonhardt, cité par Cornelia Geiser, Bach à l’écran, pp. 48-50, Entretien avec Gustav Leonardt, Paris, 2000, Musée du Louvre.
[16] R. Estève, L’Esprit des beaux arts, cité par B. Cannone, Philosophies de la musique (1752-1780), Aux amateurs de livres, Paris, 1990, p. 116.
[17] L'instrument est visible et audible au
musée de la Scala. Sept octaves, cadre en fonte, cordes croisées : notre piano
actuel est bien peu différent. E. Bürger, Franz
Liszt, Paris, Fayard, 1988, p. 195.
[18] Boyé, dans L’Expression musicale mise au rang des
chimères, 1769, cité par B. Cannone, op.
cit., p. 161.
[19] Madame de Puisieux, Les Caractères, s.n. e., Londres, 1750, p. 170.
[20] Philippe Beaussant, Vous avez dit
Baroque ? Musique du passé, pratiques d’aujourd’hui. Actes sud, Arles,
1988, p. 63.
[21] H. Berlioz, id., t. I, p. 341.
[22] Novalis, Blütenstaub, Werke in einem Band, Aufbau Berlin und Weimar,
Bibliothek deutscher Klassiker, 1989, p. 290-291.
C’est l’auteur qui traduit et souligne.
[23] Elle peut être également absence
revendiquée d'émotion, ce qui revient évidemment au même.
[24] L’Homme nu, Mythologies, IV, Plon, Paris, 1971, p. 585.
[25] (Engel, Lettre sur la peinture musicale, adressée à M. Reichardt, maître de chapelle du roi de Prusse (trad. 1788), publié à la suite des Idées sur le geste et l’action théâtrale, p.p. M. de Rougemont, Genève, Slatkine, Ressources, 1979, t. II, p. 278).
[26] N. Harnoncourt, Le Dialogue musical,
Monteverdi, Bach et Mozart, op. cit. p. 157-163.
[27] Cité par D. Cairns, Berlioz, la naissance d’un artiste, Belfond trad. D.
Collins, Paris, 1991, t. I, p. 472. Attitude trop subjective et romantique
? “Le seul bon chronomètre que l’on
puisse avoir, c’est un habile musicien qui ait du goût” (Rousseau, Dictionnaire
de musique, article chronomètre).
[28] Lettre à propos du
concert du 3 avril 1781.
[29] André Boucourechliev, Le langage musical, Fayard, Paris, 1993,
p. 182.
[30] Charles Burney, op. cit., p. 430.
[31] Le Journal du Dimanche, 3 septembre 2000.
[32] Roland de Candé, Jean-Sébastien Bach, Paris, Seuil, 1984, p. 390.