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Les Symphonies de Brahms: version
Harnoncourt
Par Eric Taver
ARIS,
le 19 Fevrier 1998 - Cet
enregistrement bouscule bien des idées reçues sur
Brahms. Derrière ces pages capitales du répertoire
symphonique, jouées habituellement comme des monuments de
musique aux lignes massives et puissantes, Nikolaus Harnoncourt a
voulu retrouver un Brahms plus délié, et surtout moins
intimidant. Aujourd’hui âgé de 68 ans, le chef
autrichien avait commencé, dès les années
cinquante, par redonner des couleurs baroques à Jean-Sébastien
Bach ; dans les années quatre-vingts il nous avait rappelé
que, sous la grâce apparente, la musique de Mozart était
profondément tragique ; il a ensuite voulu ressusciter la
violence, le choc, que Beethoven et Schubert avaient pu produire sur
leurs contemporains. Dans un imperturbable ordre chrononologique,
Nikolaus Harnoncourt élargit donc aujourd’hui son répertoire,
et le champs de ses audaces, à la seconde moitié du XIXe
siècle.
Et l’on découvre alors une 1re
Symphonie qui semble regarder encore du côté du
romantisme sensible de Schumann, le dieu tutélaire du jeune
Brahms. Ici, la structure n’étouffe pas la spontanéité
des mélodies. On y perd certes le côté majestueux
des interprétations légendaires de Klemperer ou Furtwängler.
Mais ce Brahms qui renonce aux grandes explosions orchestrales en
devient presque amical. Dans les 2e et 3e Symphonies, Harnoncourt cisèle
le détail, au détriment il est vrai des grandes
progressions architecturales : il nous oblige cependant à déceler
mille jeux de rythmes et de sonorités trop souvent dissimulés
dans la masse orchestrale.
Mais la plus grande réussite
de ce coffret est certainement la 4e Symphonie. Alors qu’on
souligne souvent le caractère pastoral de la 2e ou l’héroïsme
de la 3e, il est habituel de considérer l’ultime symphonie
de Brahms comme un morceau de musique absolument pure. Nikolaus
Harnoncourt, lui, fort de sa connaissance de la musique baroque, en
fait ressortir tous les rythmes de danses, souvent anciennes comme la
passacaille, qui parsèment cette partition, la rendant
infiniment moins austère.Les tempos sont souples, les mélodies
naturellement chantées, les enchaînements évidents.
On n’y reconnaît plus son Brahms !
Ajoutez à
toutes ces surprises, la chaleur et la virtuosité d’un
Orchestre Philharmonique de Berlin totalement engagé dans l’aventure
(mais qui semble avoir oublié le son homogène et soyeux
que Karajan avait patiemment fabriqué) : voilà donc un
coffret qui ne laissera pas indifférent les admirateurs de
Brahms, et qui pourrait bien séduire tous ceux qui, rebutés
jusque là par l’aspect magistral et froid du compositeur
allemand, découvriront contre toute attente une musique
sensible, chantante et dansante, une musique profondément
humaine.
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